LA CRISE CENTRAFRICAINE COMME UNE ABSENCE DES REPERES SECULAIRES

Publié le par MASHIMANGO

LA CRISE CENTRAFRICAINE COMME UNE ABSENCE DES REPERES SECULAIRES

A. LES CAUSES HISTORIQUES DES MUTATIONS STRUCTURELLES DANS LES ORGANES DE GOUVERNANCE EN RCA

1. Les facteurs sociohistoriques

L’histoire des structures traditionnelles de gouvernance en République centrafricaine a été longtemps ignorée à l’image du « vide » ou de l’ « absence des traces humaines » que les historiens ont vite fait de remplacer par des dessins représentant des bêtes sauvages occupant tout l’espace « Oubanguien » de l’époque. D’abord, on a ignoré que ces espaces étaient occupés par des hommes organisés en clan ; en lignage et structurés en modèle d’organisation ayant subi l’influence des « chefferies » ; des « lamidos » ; des « sultanats » qui ont rayonné dans cette partie du continent à l’image du sultanat de l’Ardo BUBA DJIDDA (Etat peuhl du Nord Cameroun), du royaume de Bangassou et de Rafai dans le Mbomou à l’Est) , et celui de Senoussi et Rabah dans le Nord ( Dar-El- Kouti).

Jusqu’à une période récente, l’histoire de l’Oubangui-Chari était partagée entre deux thèses ; celle d’un peuplement ancien, voire très ancien à l’instar des autres pays voisins (P. VIDAL ; 1974) et celle d’un peuplement récent situé au deuxième moitié du XIX ème siècle (P. KALCK ; 1977). Le moins que l’on puisse dire par rapport à ces deux jugements, c’est que P. Vidal à travers ses recherches archéologiques a disposé de beaucoup d’éléments objectifs (pièces lithiques, céramique, poterie et tessons « ramassés ») pour étayer ses analyses d’une implantation ancienne du territoire oubanguien.

L’histoire lui donnera raison au fur et à mesure que les recherches dans ce domaine avancent. La découverte du crâne de Toumaï dans la partie Tchadienne en constitue si besoin est, une preuve éclatante. De plus, à l’intérieur même du territoire centrafricain, précisément dans la région de la Lobaye, les travaux de Bayle Des Hermès sur les gisements néolithiques de la localité de Batalimo et de Wakombo ont fait état de l’existence d’une riche industrie de pierres taillées associées à la céramique très ancienne (A. MOUKADAS-NOURE ; 2015).

L’organisation sociale, la stratification des catégories sociales ainsi que leur hiérarchisation en fonction de leur rang social furent longtemps négligées voire, relégué au second plan. La période coloniale portera un coup fatal envers quelques survivances de forme traditionnelles des organisations étatiques (sultanats locaux dans les territoires du Nord), des chefferies ou des royaumes (dans les territoires de l’Ouest et de l’Est).

Sous ce rapport, notons qu’en Août 1897, le Sultanat du Dar-El-Kouti était sous l’administration directe française dans le cadre du traité de commerce et d’alliance signé entre Senoussi (Sultan du Dar-El-Kouti) et la France représentée par l’Administrateur Gentil. A cet effet, en vertu des accords signés entre les deux parties, le titre de Maire de la sous-préfecture de N’Délé laquelle englobe naturellement le territoire du sultanat va être attribué à un civil nommé par le gouvernement ce qui enlève d’emblée l’autorité politique, spirituelle et religieuse que naguère détenait le Sultan.

En 1912, à la mort du Sultan SENOUSSI, son fils le sultan KAMOUN reprendra les rênes du pouvoir mais, se verra affublé du titre de sultan-maire ce qui en dira long sur le caractère ambiguë du pouvoir qu’il détenait avant la colonisation. Sur le plan administratif, la région subira avant la colonisation (1946) des changements notables en termes de dénomination :

  • En 1910, les régions du Chari-Logone et du Dar-el-Kouti vont être rattachées à l’Oubangui-Chari ;
  • En 1946-1961, il deviendra district autonome de N'Délé;
  • Sous-préfecture autonome de N'Délé (1961-1964) ;
  • Préfecture de Bamingui-Bangoran depuis 1964.

Dans les régions de l’Est en l’occurrence les royaumes des Zandés et Nzakaras connus pour leur longue tradition dans l’organisation des règles sociales régissant leur société et surtout, le respect stricte des us et coutumes à travers le comportement sensé guider un habitant du royaume qu’il soit étranger, de passage ou installer dans la dite communauté n’ont pas eux aussi résister aux coups de boutoir introduits par la politique coloniale. Se référant aux travaux de Eric. de DAMPIERRE qui est un des africanistes ayant étudié ces sociétés « à Etat » de l’Est de l’Oubangui-Chari, le rapport de l’observatoire Pharos met en exergue une citation du gouverneur MERLIN datant de 1909 qui est la traduction dans les faits des conduites à tenir pour ce qui concerne les sultanats ; chefferies ; royaumes et autres structures de gouvernance locale dans le territoire de l’Oubangui-Chari : « c’est une politique de démembrement progressif qu’il faut envisager pour l’avenir dans les sultanats. »

2. Les facteurs socio-anthropologiques des mutations structurelles de la période des indépendances à nos jours

Les mutations structurelles introduites de dehors sont elles-mêmes produits de l’histoire en ce sens que jusqu’à la fin du 19ème siècle, il existait encore dans la société centrafricaine quoique « déchirée » par des guerres « intestines » des chefferies traditionnelles, des sultanats locaux voire, des empires qui fonctionnaient selon des modalités et des valeurs qui leur étaient propres.

On peut supposer que compte tenu de l’évolution du nouveau type de rapport de force introduit par les forces hégémoniques à l’échelle locale d’une part ( la traite esclavagiste orientale qui fut dévastatrice au point de vider le bassin oubanguien de sa population), et par le système colonial ( travaux forcés pour la culture de l’hévéa ; déportation des bras valides pour les chemins de fer Congo-Océan) d’autre part, les sociétés qui sortent affaiblies de l’épreuve devront développer des dispositifs défensifs dans le but de se prémunir des contingences du moment et à venir.

L’histoire, malheureusement n’aura pas permis à la nouvelle république (R.C.A) née des indépendances de 1960 de « ré-panser » ses plaies car loin d’avoir arrêté l’hémorragie, la nouvelle administration n’aura pas le temps, empêtrée dans les querelles du leadership , de l’"orientation" à donner aux réformes socio-politiques et économiques capables de réconcilier les centrafricains meurtris de par leur passé mais, surtout avec eux même.

De plus, il y a la problématique des frontières actuelles héritées de la période coloniale (lesquelles dans les faits ont été tracées depuis 1939) qui constituent une véritable entrave à la question sécuritaire à l’échelle locale ; régionale ; sous régionale voire, continentale. Le Tchad actuel par exemple sera réuni à la colonie de l’Oubangui-Chari en 1910 entant que « territoire unifié » sous l’appellation de « Oubangui-Chari-Tchad » puis en tant que « colonie autonome » en 1915.

Longtemps considéré comme un « territoire militaire » par l’administration coloniale, il ne sera officiellement pacifié qu’en 1939. Tous ces atermoiements en disent long sur la situation de quasi-guerre qui a toujours caractérisé cette partie septentrionale du pays avec le Tchad d’une part et le Soudan d’autre part. Avec ce dernier, la porosité des frontières Est et Sud est-elle que la présence des forces de défense de de sécurité nationale relève plus d’un symbole que d’une action de protection, de défense et de sécurité publique.

On note par ailleurs que les territoires de l’Ouest sont plus peuplés que ceux de l’Est et que les voies de ravitaillement et de transport des biens et des personnes à l’intérieur du territoire national manquent cruellement. Tout se passe comme si, l’administration coloniale ne s’est préoccupée que des voies susceptibles de faciliter la sortie des matières premières (ressources forestières) vers la capitale Bangui au détriment des échanges inter-préfectures ou entre les sous-préfectures.

3. Lutte et rivalité pour la conquête des colonies

L’histoire nous fait savoir que l’économie de traite avait considérablement affaibli le continent africain à travers l’implantation des comptoirs le long des côtes mais aussi, dans les régions à l’intérieur des terres caractérisées par des guerres incessantes entre d’une part les forces coloniales avec leurs bras armés composés essentiellement des « noirs sénégalais » - parfois aussi des Peuhls et autres races d’origine africaine pour ce qui concerne l’Afrique Équatoriale Française - et les peuplades indigènes. C’est dans ce contexte que la puissance européenne va s’affirmer à partir de 1850 et se poursuivra jusqu’en 1885 avec le dépeçage du continent africain suivi de la reconnaissance de la navigation et le commerce des grandes puissances dans tout le bassin du Congo et la demande formelle à toutes les puissances installées en Afrique centrale de mettre fin à la traite des esclaves (Acte de Berlin).

Les différentes conventions signées par les puissances occidentales (France ; Allemagne et Angleterre) concernant les régions Nord-Ouest et Sud Oubanguiennes furent diversement appréciées selon qu’elles servent à endiguer l’une ou l’autre partie ou à favoriser l’expansion économique des signataires sur le terrain.

En réalité, c’est au sortir de la conférence de Berlin (1885) que la France avait déjà défini ses zones d’influence en Afrique centrale. La « voie » était tracée aux nouveaux explorateurs ; aux sociétés commerciales mais aussi aux aventuriers de tous bords comme ce fut le cas en Centrafrique.

De ce point de vue, le comité syndical des principales maisons françaises ayant des intérêts dans les colonies et animé par son directeur Delcassé, dictera les nouveaux principes des missions d’exploration que nous résumerons ainsi qu’il suit : l’heure des missions pacifiques est révolue. Pour cela, elles doivent s’appuyer sur des moyens militaires.

En fait, dorénavant les missions d’exploration seront constituées d’une composante militarisée avec des soldats et des « tirailleurs » africains triés sur le volet et connaissant bien le terrain pour mieux organiser des opérations de conquêtes, de reconquête ; pour la mission qu’effectuera de Brazza en Oubangui-Chari par exemple. C’est justement dans l’optique de réaliser ce dessein « "musclé" que l’équipe conduite par Alfred Foureau dans la même année connaitra un désastre avec le massacre de sa troupe perpétré par NZAOURE KOUISSO et ses guerriers à proximité de l’actuelle ville de Carnot. Au cours de cette bataille, l’officier THIERIET trouvera la mort et, FOUREAU lui-même blessé au front sera évacué vers Brazzaville. Deux années plus tard, Brazza accompagné de GENTIL, PONEL, CLOZEL et GOUJON vont remonter le cours d’eau de la Sangha avec la ferme volonté d’en découdre avec les indigènes vu l’arsenal et les moyens matériels (armement) ainsi que les troupes mises à sa disposition.

Au niveau de l’A.E.F, les explorateurs européens à quelques exceptions près se retrouveront en face des souverains qui n’ont pas un contrôle total de leur territoire. Tout au plus, leur maintien au trône dépendait généralement des relations de vassalité qu’ils entretenaient avec les autres souverains plus puissants en termes de moyens militaires. Aussi, d’une politique caractérisée par des sphères d’influence selon qu’on est au service de la France, du Roi Belge ou de la Reine d’Angleterre, on a recours à une série de marchandage avec ces souverains. Ces derniers « signent » des traités ou des documents à l’emporte-pièce à l’image du constat que le Père REMY à fait à propos des Bwakas et des Buzérus de l’Oubangui-Chari : « Il fallait bien les fréquenter pour se faire connaitre d’eux, mais lorsque le Blanc arrive, ils ne désirent qu’une chose, c’est de le voir partir » Dans les meilleurs des cas, après une entente entre les deux parties (ce qui arrive rarement) ponctuée par la signature d’un traité, les chefs traditionnels accordent plus d’attention à la prochaine étape qui est celle d’échange des présents et cadeaux comme si, toute cérémonie destinée à cet effet et qui n’intégrerait pas ces paramètres, serait nulle et de sans effet. Toute chose étant égale par ailleurs, c’est peut-être l’inobservation de cette règle traditionnelle qui conduira les sultans ou les chefs traditionnels à signer des traités ou des documents avec d’autres explorateurs pourvu qu’en retour ils reçoivent des perles, des étoffes, des produits manufacturés et parfois des fusils ainsi que de la poudre (Aboubakar MOUKADAS-NOURE, 2015).

4. Les craintes de l’administration coloniale de voir créer un sultanat islamique en zone animiste ou aborigène

Cette idée de ne pas favoriser l’émergence d’un sultanat calqué sur le modèle arabo-musulman tel qu’il existait dans la majorité des empires situés en Afrique de l’Ouest et une partie de l’Afrique située au Nord du Sahara sera la feuille de route de Henri CARBOU (Administrateur adjoint des colonies en 1912). Il a lié cette question à la montée de la puissance de l’armée senoussiste aidée en cela par son mentor et protecteur Rabah.

Pour lui, ou du moins s’inspirant des rapports du Capitaine Modat « l’histoire de Senoussi n’est-elle qu’une longue série de chasses à l’esclave, pendant lesquelles les bannières arabisantes continueront la pénétration musulmane dans l’Oubangui-Chari. Le résultat, c’est la dépopulation dans toutes les régions avoisinantes, le vide autour de N’Délé, et le désert jusqu’à la frontière égyptienne ».

Ainsi, la perspective de voir se créer un « empire musulman entre le Chari et Oubangui, sur le trajet des caravanes allant à la « Mekke » était tout simplement impensable aux yeux de l’administration coloniale. En effet, le moins que l’on puisse dire, était la montée en puissance du petit Etat de Senoussi : d’abord chef sous couvert de Rabah, il est devenu le grand Sultan de N’délé ou l’émir des croyants c’est selon, dont la puissance reposait dorénavant sur une population « de plus de 50.000 âmes et une armée de 4.000 fusils.

Après le massacre de la mission Crampel suivi de la récupération de son arsenal, le sultan Senoussi pouvait avoir en sa possession un stock impressionnant d’armes à feu. Aussi, c’est tout naturellement que Grech (interprète colonial parlant parfaitement l’Arabe et grand connaisseur de la civilisation arabo-musulmane) va être envoyé en 1902 comme résident auprès de Senoussi pour contrecarrer son projet d’installer un sultanat calqué sur le modèle islamique tel qu’il est « institué » dans le Ouadaï ; le Baguirmi et le Dar- four.

Pour contrecarrer la montée en puissance du sultan SENOUSSI et par ricochet de l’influence islamique vulgarisée par ses conseillers « arabisant », il propose l’alternative suivante : « Il consiste à placer auprès de ces sultans musulmans de l’Afrique centrale des représentants possédant une connaissance approfondie de l’arabe écrit, des mœurs et de la philosophie. Ces fonctionnaires recevraient des publications des journaux officiels écrits en arabe, lesquels seraient distribués aux nombreux lettrés du pays qui les liraient, les commenteraient et les colporteraient dans toutes les assemblées où l’on doute encore de notre puissance.

Les Arabes apprendraient ainsi la façon dont nous traitons nos administrés d’Algérie et de Tunisie, qui reconnaissent ouvertement que loin d’être contraires à la religion qu’ils professent, les Français se font un scrupuleux devoir de respecter toutes les croyances ». Le traité passé entre le Commandant du Territoire du Tchad et le Sultan Senoussi a été conclu sur des bases solides. Il suffira pour qu’il soit exécuté que toutes les clauses soient rigoureusement observées et nous aurons à tenir la main à ce que Senoussi tienne ses engagements, car nous tiendrons les nôtres. (Grech, 1924). Source : Aboubakar MOUKADAS – NOURE, « Histoire des Elites Musulmanes Oubanguiennes : Pour une relecture de l’histoire des Musulmans de l’Oubangui-Chari de 1800 à 1960 ». pp. 84-85.

B. LA DESORGANISATION DES SOCIETES TRADITIONELLES ET SES CONSEQUENCES SUR LES STRUCTURES DE GOUVERNANCE LOCALE

1. Dégénérescence des sultanats locaux dans la localité de l’Est de la République centrafricaine

A l’instar des autres populations oubanguiennes puis, centrafricaine par la suite, l’origine des populations riveraines est intimement liée à l’aire de la civilisation des « Ngbandi » qui s’étend du Nord (Haute Kotto) au Sud (fleuve Oubangui) et de l’Est (Mbomou) à l’Ouest (Ouaka).

Historiquement, cette zone géographique qu’on appelait « Kotto-Kouango » fut, après plusieurs réformes administratives, rebaptisée, en 1919, « Basse-Kotto » (KOKIDE ; 1988). Sa position stratégique lui a valu d’être choisie par l’administration coloniale comme lieu de résidence du gouverneur général et de servir de tête de pont pour la création du Haut Oubangui.

L’origine des peuplades habitant cette zone géographique est lointaine et diverse voire hypothétique. Lointaine quand on sait par exemple que le groupe Zandé serait venu de la région du lac Tchad et se serait implanté dans la préfecture actuelle de Mbomou (Meunier ; 1924). La conquête esclavagiste du début du 19ème siècle qui a touché la partie orientale de l’Oubangui et l’Ouest du Bahr-el-Ghazal va contraindre les Zandé à migrer pour s’installer sur le territoire oubanguien qui deviendra la R.C.A.

Le peuple Zandé, originaire du Soudan nilotique, étant des redoutables guerriers vont soumettre d’autres populations et importer leur organisation sociale et militaire à travers des royaumes et des chefferies implanter au niveau local. Sous la protection de OTHMAN, sultan de Rafaï, la race Zandé représenté par son chef nommé ZAGA va étendre sa domination sur les autres ethnies (Gobous ; Kreichs ou Baïas ; Bandas ; Roungas) (GAUDICHE ; 1925).

2. Les influences extérieures sources de conflits ou de dégénération des sultanats et chefferies locaux

Le contact avec les commerçants arabes va aiguiser l’appétit des Zandé pour le commerce de l’ivoire et des esclaves. Des armes modernes fournies par les trafiquants arabes vont renforcer le pouvoir de la classe aristocratique ou classe des seigneurs composés des « Bandja » et des "Avoungoura" selon les localités.

Ce nouveau rapport de force va favoriser la traite des esclaves ce qui conduira inévitablement au dépeuplement pendant une longue période des populations vivant au Sud du Soudan actuel ainsi que les localités situées autour des bassins de l’Oubangui-Ouélé plus précisément aux confins de Mbomou et de l’Ouélé. La population de ces localités sont des riverains et par voie de conséquence, était à l’origine d’un intense développement du commerce au point de vulgariser la « langue des riverains » ou « Sango », laquelle sera plus tard adoptée comme langue nationale de la République Centrafricaine.

Parmi les acteurs en l’occurrence, les Sango, les Yakomas, les Nzakara et Zandé implantés de part et d’autre entre la R.D.C (République Démocratique du Congo) ; la R.C.A (République Centrafricaine) et le Soudan s’établiront des échanges à travers un réseau pluri-ethno-linguistique à l’image du Sultan de Rafaï (qui aimait s’habiller à la Turc) et exercera une influence à travers ses hommes de main, dans la conduite des affaires civiles et publiques du royaume, lequel était organisé sur le modèle musulman à l’image du Rafaï BENGHI qui aura exercé un pouvoir absolu s’accompagnant d’une main mise sur les richesses du royaume grâce à une armée qui lui était fidèle.

3. Dégénérescence des chefferies traditionnelles dans la localité du nord de la République centrafricaine

Les mutations qu’ont connues les sociétés situées au Sud du bassin du Niger d’une manière générale, et celles qui longent le bassin du Logone-Chari-Oubangui de façon particulière, ont été violemment « secouée » par des guerres et razzias incessantes perpétrées par des sultans et chefs de guerre véreux et de tout acabit. D’abord, les localités situées dans cet espace géographique généralement habité par le groupe Sara composé des Gambaye ; Mbaye ; Madjingaye ; Goulaye ; Kaba-laye ; Ndan etc. étaient considérées par des Bornouans et Baguirmiens venus du Nord ; des Foulbés venus de l’Ouest et les Ouadaïens venus de l’Est comme un réservoir d’esclaves avant de continuer plus au Sud pour s’attaquer aux groupes Roungas, Kreich, Banda etc. Ce faisant, ils vont introduire des règles et pratiques qui vont déstructurer durablement ces sociétés ou du moins, les groupes et sous-groupes cités ci-dessus.

La stratification sociale au Dar el Kouti était très disparate , néanmoins on pouvait distinguer certaines personnalités dans l’entourage immédiat du Sultan. Les plus influents de ces personnalités en l’occurrence les lettrés islamiques sont entretenus par le sultan qui leur a donné de nombreuses épouses et esclaves selon la tradition musulmane « ce qui leur permet de vivre dans une inertie presque complète » (Grech, 1902).

Profitant de leur position de privilégié, ils interviennent pour donner des avis sur les questions civiles et religieuses, instruisent les jeunes garçons et filles aux préceptes de l’Islam. Dans la seconde catégorie, on trouve les peuplades soumises à la population musulmane par la force des armes. Elles sont constituées des Kreichs ; des Dri ; des Bourou ; des Tambago ; des N’Gaou ; des Marba etc.

Tous ces groupes sont implantés dans les environs de N’Délé et se regroupent en fonction des critères ethniques avec des représentants qui répondent d’eux auprès du sultan. Dans la dernière catégorie, il y a les tribus aborigènes qui fournissent les domestiques ainsi que des sujets aptes aux travaux champêtres. Généralement issus des opérations de razzia, les « Reguig » sont échangés ou vendus contre des marchandises.

L’organisation spatiale était elle aussi calquée sur les modèles des chefferies ou Etat-royaumes typique aux zones Soudano-Tchadienne du Sahel. Les arabes trafiquants d’esclaves, d’ivoire et des produits manufacturés venaient de partout : Ouadaï ; Darfour ; Soudan ; Baguirmi ; Bornou ; parfois de Zanzibar et de la Tripolitaine. Les chefs de guerres ou responsables des unités de combat se distinguant par leur étendard et enfin, il y avait les musulmans sujets du sultan ainsi que les esclaves capturés pendant les razzias qui vivaient dans des « zéribas » ou sorte de forteresse dans ce qui est devenu « CHA » capitale légendaire du Dar-el-Kouti. Cette cité va entrer dans la légende après l’assassinat de la mission Crampel suivi de sa destruction totale en 1894 par l’Aguid Salamat (gouverneur des provinces du Sud du Ouadaï) et agissant pour le compte du sultan ouadaïen. Cette destruction de la capitale du Dar-El-Kouti sera ressentie comme une fatalité par les habitants du village Gbangbali car la fuite du sultan de cette cité sonnera en même temps la fin de la civilisation Arabo-islamique dans cette contrée oubanguienne qui deviendra la préfecture de Bamingui-Bangoran dans la nouvelle république indépendante.

4. Dégénérescence des chefferies traditionnelles dans la localité de l’Ouest de la République centrafricaine

On estime à plusieurs millions le nombre d’esclaves que les sultanats de Ouadaï, de Baguirmi voire du Kordofan ainsi que les Lamidos Foulbés ont prélevé sur les populations voisines. SCHWEINFURTH, explorateur allemand qui fut un des premiers à pénétrer les régions du centre de l’Afrique, estimait en 1868-1871 à 25.000 le nombre des esclaves prélevés chaque année dans les territoires situés dans les régions du Sud du Tchad notamment le moyen -Chari ; la Logone oriental et occidental. Selon KEWEN A. citant J.L TRIAUD, le sultan de Yola exigeait de chaque chef local dépendant de lui, le versement d’un tribut annuel estimé à 5.000 esclaves (KEWEN A. 2009).

Les sultanats de l’Adamawa se singulariseront dans ce domaine avec la mise en place d’une organisation décentralisée à l’échelle de la région leur permettant de « drainer » un nombre considérable d’esclaves. Élisabeth COPET-ROUGIER estime que les « États Fulbé se fondaient sur un mode endémique de raids esclavagistes et de guerre aux frontières du territoire ». Citant BURNHAM (1995), elle explique qu’« à la fin du siècle, huit à dix mille esclaves étaient pris chaque année.

L’esclave étant au premier chef un bien d’échange. » Selon l’auteur, l’État peuhl avait instauré un système qui trouvait dans les razzias esclavagistes en citant toujours BURNHAM « une rationalité auto-construite et auto-reproductive » (BURNHAM ; 1995).

L’éloignement du territoire oubanguien qui était pourvoyeur des esclaves surtout parmi les peuplades Gbayas de la Haute-Sangha, favorisera de l’avis de Élisabeth COPET-ROUGIER, la mise en place d’un « système de relais » animé par des élites locales soutenues par les Lamidos. Sous ce rapport, les relais d’acheminement des esclavages implantés dans le centre commercial de Koundé vont permettre dans les années 1850 des percées lesquelles, constitueraient de prolongement de l’administration Fulbé dans les territoires oubanguiens en particulier, dans le bassin de la Sangha (Nana Mambéré ; Mambéré Kadei).

L’abondance des troupeaux d’éléphants dans cette localité va en outre attirer les marchands d’ivoire qui sont les Haoussas (terme usuel pour appeler sans distinction Peuhl ; Bornouans ; Kanouri) qui viendront vendre leur bétail et chevaux (pour les Peuhls) ; leur sel, tissus, kola (pour les Haoussas) ; leur vannerie ; fer ; cuir et armes (pour les Bornouans) contre l’ivoire et les esclaves. Les cauris seraient utilisés comme moyen d’échange dans les transactions, ce qui témoignerait de l’influence des réseaux commerciaux venant du Nord et non du Sud (Élisabeth COPET-ROUGIER ; 1997). Ainsi , de l’Adamawa en passant par le centre de Gaza (affluent de la Kadei très connu pour ses travaux de transformation de fer), la Mambéré ( réservoir d’ivoire et d’esclaves) et Koundé ( centre des échanges commerciaux et administratifs) va s’opérer une sorte de « coupure très nette entre la Haute-Sangha entièrement tournée vers le Nord-Ouest sous l’influence politico-commercial Fulbé et la moyenne-Sangha, tournée vers le Sud et l’aboutissement du commerce à longue distance congolais » (Élisabeth COPET-ROUGIER ; 1997).

6. La percée de l’administration Foulbé et son influence sur les chefferies et les structures de gouvernance locale.

La percée de l’administration Foulbé et éventuellement, de l’influence socio-culturelle qu’elle a exercée dans les territoires oubanguiens est intimement liée à l’histoire de leur implantation qui fut jalonnée des multiples invasions guerrières à l’issue desquelles certains des acteurs sont restés sédentaires et d’autres nomades en l’occurrence, ceux qu’on appelle communément "Mbororos".

Dans tous les cas de figure, le mode d’implantation demeure le même : « Leur exode ne se fit d’abord point en masse mais par familles guidés par leurs chefs. Venus paisiblement dans le pays des païens, ils durent se soumettre à eux et leur payèrent même des droits de pacage. Ils se répandirent très loin. Ils franchirent la Benoué et s’installèrent dans l’Adamaoua oriental et méridional (Tibati). Peu à peu s’immisçant dans les affaires et les querelles des gens du pays, ils acquirent une réelle influence et certains purent se constituer de puissants commandements indépendants, tels l’Ardo BUBA DJIDDA de Rey. Au cours de leur avance, les Foulbés rencontrèrent plusieurs populations tels les Falli (plaine du Diamaré) les Batta (Sud de la Bénoué) les Duru (nord de l’Adamaoua) et enfin les Mboum (Oubangui). Les Foulbé s’installèrent à côté de ces populations sur une aire immense, s’étendant depuis la région de Maroua jusque dans l’Adamaoua central » (E MAQUET ; I.B KAKE ; J.SURET-CANALE ; P.101). Des États nouveaux ayant à leur tête des « chefs guerriers » s’appuyant sur une aristocratie militaro-religieuse vont s’installer et prospérer dans les territoires oubanguiens (préfecture de la Mambéré-Kadei) grâce au commerce d’esclaves et des ivoires. (A. MOUKADAS- NOURE ; 2015).

C. ENTRE RUPTURE ET DESTRUCTURATION DES STRUCTURES DE GOUVERNANCE LOCALE

1. D'abord les chefferies et les sultanats

On a tendance à oublier qu’avant BOGANDA, considéré comme le père fondateur de la future république, il y avait des chefferies établies, des sultanats qui existaient voire, des empires qui exerçaient leur domination sur d’autres états vassaux.

L’existence de ces institutions traditionnelles de gouvernance à travers leur mode de fonctionnement a objectivement influencé l’organisation sociale, politique et économique des sociétés d’avant l’indépendance. A. MOUKADAS-NOURE (2015) écrit : « C’est l’époque où, malgré l’existence des royaumes et des sociétés traditionnelles ayant des règles et conventions propres pour délimiter leurs frontières mieux, leurs limites, tout homme audacieux pouvait sans ambage annexer des grands territoires et imposer ses volontés aux autres. »

C’est également l’époque où des caravanes entières venant des États du Bornou et du Ouadaï, en passant par le grand marché de Kouka du Bornou situé au Sud-ouest du lac Tchad connu pour être le plus grand espace de transaction esclavagiste et d’Abéché (Tchad) pour atteindre le bassin oubanguien considéré comme un réservoir d’esclaves sans compter son immense potentialité en terme de biodiversité. Ainsi va s’installer un climat de tensions caractérisé par des guerres intertribales ainsi que des conflits fratricides quasi permanents à l’intérieur des clans et des lignages à l’échelle locale, régionale voire continentale.

Il va s’en dire que la nouvelle configuration géopolitique créée par les visées hégémoniques des empires nantis notamment ceux du Bornou, du Ouadaï, du Baguirmi, d’Abéché et du Kordofan ne pouvaient ne pas avoir des conséquences sur les structures sociétales de cet Etat Oubanguien en gestation qui deviendra la République Centrafricaine. Autrement dit comment, expliquer les actions des sultans et autres chefs de guerre conquérant dans les relations qu’ils avaient avec les dominés ou les peuplades des contrées du Sud lesquels, furent « objets » de persécutions multiples, les transformant à des sociétés « vassales » ou des États pourvoyeurs d’esclaves et des défenses d’éléphant.

Comment enfin, expliquer les tueries, les razzias, les déportations opérées par des « Sultans » dans les contrées du Sud sur des femmes et des enfants qui ne reverront plus certainement leur terre natale. Ces exactions naguère organisées par les sultans « locaux » à l’image du Roi ALI (fils de Mohamed CHERIF souverain de Ouadaï), du Sultan Mohammed Es SENOUSSI (souverain du Dar El Kouti) ou des chefs des guerres comme RABAH (venu du Darfour ) ; Zobéïr PACHA (envoyé du souverain Égyptien et maitre absolu de la province égyptienne du Bahr El-Ghazal en 1869 et du Darfour en 1874) et CHEFFERDINE ou Cherif-Ed-Din (« Aguid » ou chef) du Salamat, représentant du sultan du Ouadaï chargé de percevoir l’impôt du Dar El Kouti dans l’actuelle préfecture du Bamingui-Bangoran) s’avèreront très déterminantes mieux, modifieront profondément le cours de l’histoire de l’Oubangui-Chari (A. MOUKADAS-NOURE ; 2015). Ce dernier ne cessera depuis lors d’enregistrer des mutations structurelles lesquelles vont encore s’amplifier au regard des contingences socio-économiques et surtout le projet de BOGANDA d’unir la communauté des populations de l’Afrique noire du centre au sein d’une organisation supranationale au-delà de l’Afrique Équatoriale Française (A.E.F), laquelle prendrait en compte les territoires conquis par les Belges (Congo Léopoldville) et les Portugais (Angola), sous la forme d’une organisation fédéraliste (États-Unis de l’Amérique Latine).

Ce projet titanesque, voire très ambitieux vu les enjeux stratégiques de l’époque, va lui attirer la foudre des puissances coloniales. Au demeurant, sa tragique disparition intervenue dans un crash d’avion dont, les circonstances demeurent encore pour le moins floues et pleines de « mystères » de nos jours ne feront que renforcer cette situation d’absence ou encore du « vide » qui va caractériser la conduite des affaires politiques en R.C.A.

Tout se passe comme si le lien qui jadis unissait le « passé » (période précoloniale) au présent (période postcoloniale) s’était rompu avec la disparition de BOGANDA. Ce dernier était-il le cordon ombilical mieux, le maillon des chaines manquantes qui pouvait unir la tradition représentée par les institutions de gouvernance locale (chefferie et sultanat) et la modernité représentée par la nouvelle administration mise en place à l’orée des périodes qui ont suivi l’accession du pays à la souveraineté nationale ? Une chose est au moins certaine, lorsque Barthélemy BOGANDA disparaît le 29 mars 1959, il partira en laissant derrière lui un pays sans solides repères historiques et en quête de ses véritables « racines ». Beaucoup des théories, des slogans, des citations ont été développés concernant le projet politique et économique de cet illustre personnage de l’histoire de Centrafrique et dont, les répercussions tardent encore à se manifester après cinquante années de l’accession du pays à la souveraineté nationale.

2. L’engrenage des crises à répétition en RC

A l’origine de ces crises à répétition il y a à coup sûr une « absence », un « vide » de repérage en termes des valeurs morales, religieuses, spirituelles et surtout un personnage capable d’incarner ou encore d’opérer cette jonction entre la « mémoire » du passé de l’Oubangui-Chari et l’avenir radieux dont la nouvelle nation centrafricaine est en droit d’espérer. Les violences, les exactions, les pillages, les scènes de cannibalisme, les mutilations des cadavres ne sauraient à eux seuls expliquer le « défoulement » enregistré de longue date dans la « mémoire collective » d’une population.

L’histoire retiendra qu’en 1979, lors du renversement du régime de BOKASSA par un coup d’état qui a installé DACKO, le « feu vert » pour un pillage à grande échelle était implicitement donné. Aussi, à partir de cette période tout changement violent de régime sera suivi aussitôt de destruction, de pillage, et autres exactions. Par ailleurs, en examinant un tant soit peu la cartographie des zones conflictuelles, on remarque que ces dernières ont lieu ou partent toujours des quartiers excentrés ou zone périphérique et que, ce sont les jeunes (formant plus de la moitié de la population totale avec 60 % qui ont moins de 25 ans) qui en sont les principaux acteurs.

Par rapport à l’ensemble de la population centrafricaine, cette catégorie vit une réalité décalée historiquement des autres couches sociales consécutives à la prolifération depuis les années 85 des ciné-vidéo proposant à cette jeunesse des actions de violence à longueur de la journée ; des scènes de pornographie ainsi que des « espaces » de plaisirs ou de débauche c’est selon, offrant à leur tour aux jeunes des produits hallucinogènes.

Sous ce rapport, les quartiers périphériques de Bangui sont devenus des sanctuaires des drogués qui ne se cachent plus pour consommer ces stupéfiants au vu et au su des forces de l’ordre pourtant censées réprimander ces actes. A cela, s’il faut ajouter l’absence pendant au moins plus de trois décennies des perspectives d’emploi que tous les régimes politiques qui se sont succédé n’ont pu offrir à cette jeunesse, la voie était toute indiquée pour assister malheureusement aux scènes de désolation que tout le monde déplore aujourd’hui.

3. La résilience des structures locales ou traditionnelles de gouvernance

Les chefferies locales de même que les sultanats en République centrafricaine ne vivent que grâce à leurs résiliences car, dépossédés de tout leur attribut et prérogatives d’antan. Contrairement aux autres pays voisins (Cameroun, Tchad, RDC) où le pouvoir des autorités traditionnelles à l’échelle locale, régionale et nationale a été reconnu voire, renforcé en moyen logistique, financier, matériel etc., celui de leurs compères centrafricains s’amenuisaient de plus en plus depuis les années 1970 pendant le régime du président DACKO où des textes de loi ont été pris pour « limiter » l’autorité traditionnelle des Sultans et chefferie locale et en faire des simples « auxiliaires » au service de l’administration déconcentrée de l’état.

Cet état de fait au lieu de rapprocher les autorités traditionnelles de leur administré les en éloigne. Pire, il opère une rupture entre les détenteurs du pouvoir ancestral issu des différents terroirs et les connaissances modernes détenues par les jeunes cadres de la nouvelle administration. L’absence de cette jonction mieux, de la rencontre de ces deux paradigmes (connaissance traditionnelle et connaissance moderne) peut empêcher l’émergence des idées novatrices, percutantes et catalytiques pouvant favoriser une unité dans la diversité culturelle, linguistique et religieuse dont avait besoin le nouvel état.

La fragmentation accélérée des sociétés oubanguiennes par la puissance colonisatrice a laissé des traces indélébiles sur l’organisation des structures de gouvernance et de protection des populations locales. Déjà divisées en segment de lignage et regroupées en petite communautés, les sociétés oubanguiennes ont rarement résisté aux influences extérieures qu’elles soient de nature conflictuelle (guerres) ou pacifique (échange des biens économiques).

La colonisation en voulant « structurer » à sa manière les « unités villageoises » dispersées en nommant, pour ne pas dire imposer, les chefs de circonscription n’ayant aucune assise tribale et/ou identitaire n’a abouti qu’à la déstructuration des entités composant la société oubanguienne. Cette logique du pouvoir colonial a conduit de plus à une délocalisation de cette dernière, obligeant les lignages (famille élargie) à s’aligner aux « bords de route » accentuant ainsi leur dépendance économique et sociale conséquence de l’extraversion de l’économie « traditionnelle », laquelle était déjà précaire avant la colonisation.

Du coup, les mécanismes traditionnels de gouvernance ainsi que ceux de contrôle, de communication et de sécurisation de la population indigène à l’échelle locale se trouvent affaiblis voire, « dénaturés » parce que ayant perdu de leur substance. Tout se passe comme si, il y avait d’un côté, le pouvoir conféré aux chefs traditionnels « coptés » par les blancs et de l’autre côté, les représentants « naturels » des collectivités dépossédés certes de leur légitimité mais, dont l’emprise sur les collectivités locales subsiste encore.

Aussi, la nouvelle administration née de la période postcoloniale se retrouve face à deux leviers de « commande » de la chose publique dont une visible, bénéficiant de la caution du gouvernement et l’autre, invisible ou souterraine c’est selon, bénéficiant de la faveur de la population locale. Dans ce contexte, appliquer une loi relève d’une gageüre qui ne profitera ni à l’administration centrale et encore moins aux collectivités locales. Pire, la majorité des enjeux politiques, économiques, militaires etc. qui auraient pu trouver des solutions au niveau local voire, régional ou sous-régional ont tendance à remonter vers la capitale Bangui. « Désarmée » pour les affronter et leur trouver des solutions, Bangui ne peut que recourir, comme cela arrive souvent, à des « intermédiaires » qui sont eux-mêmes déconnectés des réalités locales.

4. Les mécanismes endogènes de règlements et de réconciliation des conflit

Les systèmes organisationnels et fonctionnels de règlement des conflits existant souffrant déjà de l’application des principes de l'état de droit, de la justice équitable, de la gouvernance locale, sont en panne. Pour les renforcer et les rendre opératoires, il faudra nécessairement intégrer les « résiliences » spirituelles, cultuelles, religieuses garantes de l'héritage identitaire ancestral dont les porteurs-défenseurs sont connus et ont pour nom : Sultan ; Chef traditionnel et Lamidos.

Ce renforcement et l’opérationnalisation de ces structures de gouvernance locale passent obligatoirement par une réhabilitation en raison du passé historique qui les a dépouillés de leur « pouvoir » ainsi qu’une reconnaissance « officielle » du gouvernement pour expier le mal commis par leurs prédécesseurs (colons et administration née de la période de l’indépendance).

A cet effet, pour conjurer définitivement le « mal » et répartir sur des solides bases, la cérémonie de réparation devra intégrer ou prévoir l’acceptation des fautes commises et les acteurs gouvernementaux prêtent à subir « moralement » ou « physiquement », c’est selon, les peines physiques ou morales envisagées lesquelles pourront d’ailleurs faire l’objet d’une « négociation » avec les parties prenantes notamment les Sultans ; Chefs traditionnels et Lamidos.

Ce préalable est extrêmement important pour la suite dans la mesure où ce sont ces derniers qui se chargeront de la mise en place des mécanismes « endogènes» de règlement des crises et conflits ainsi que de réconciliation des parties engagées dans le processus. Généralement, en fonction de l’ethnie des parties engagées ou concernées par la crise mais, aussi, en fonction de leur statut et rang social, un gradient se référant aux lois et règles traditionnelles (sanctions ; réparation ; réconciliation ; mise en garde et exclusion) sont envisagées et les parties prenantes sont tenues de les observer et /ou de les appliquer.

D’autres structures de prévention, d’écoute et de communication qui étaient utilisées par les autorités traditionnelles étaient les confréries des chasseurs (même si ces catégories socio-professionnelles sont fortement dégradées dans les régions du Nord) ainsi que les pasteurs peuhls (dans les régions de l’Ouest et l’Est).

Dans les zones de l’Est par exemple, les éleveurs sont devenus grâce à leur parfaite connaissance du terrain des indicateurs précieux qui exploitent malheureusement pour leur propre compte les informations en leur possession. Cette attitude ne peut s’expliquer qu’à travers la méfiance ou encore, le manque de confiance qu’ils ont à l’égard des Autorités traditionnelles et /ou gouvernementales. Pourtant, ces relais de communication s’ils sont rationnellement utilisés, peuvent s’avérer être des redoutables armes pour contrer les velléités guerrières des groupuscules armés qui écument les régions Est, Nord et Ouest du pays.

Les structures associatives traditionnelles (groupement d’autopromotion, groupement endogène, groupement religieux) ou modernes (ONG) sont aussi des « relais » efficaces mieux, des espaces de régulation des tensions et crises au niveau local. Les premières ont l’avantage d’être des prolongations des pratiques coutumières héritées du terroir villageois ce qui les transforment en des organes de règlement des litiges et des crises commis parfois hors du cadre associatif.

L’adhésion des aînés tout comme des autorités locales, voire administrative, au sein de ces association est indispensable. Elle constitue, en quelque sorte, un gage ou encore, une sorte de caution morale ou de garantie c’est selon, pour tous les membres y compris les observateurs. Ces derniers, selon qu’ils sont alliés ou adversaires, jugent et émettent des avis qui peuvent considérablement influencés la réputation supposée ou réelle du groupement.

Les règles de fonctionnement de ces groupements sont intériorisées dans la mémoire de chaque membre. C’est une sorte de convention que chacun garde en mémoire et attend son application par les leaders du groupement. Le silence des membres est un indicateur qui montre la bonne application des règles. Par contre, en cas de mauvaise application ou parfois d’une interprétation jugée erronée, la réprobation est collective, directe et s’exprime ouvertement. Tacitement, cela veut dire qu’il faut recommencer le procès ou la discussion selon le cas qui se présente. Quelle que soit la règle qui est appliquée dans un groupement, c’est toujours le principe de la réciprocité dans la délibération qui est de mise. La réciprocité selon qu’elle est appliquée est gage de la cohésion ou du disfonctionnement du groupement. Il est très difficile dans un groupement de consigner par écrit un catalogue des bonnes ou mauvaises règles. Les groupements qui en possèdent (statuts et règlement intérieur) les appliquent rarement et préfèrent régler les litiges à l’amiable. Parfois un litige, même s’il est réglé dans le cadre associatif ne finit pas moins d’être examiné et traité dans d’autre instance avec parfois, les mêmes jugent mais élargie à d’autres compétences (chef de quartier ; leader traditionnel) selon la gravité de l’acte. Le cadre ou le lieu des réunions est généralement fixé dans l’enceinte voire, (par défaut) à proximité d’un membre influent du groupement lequel est toujours disponible à offrir bancs, chaises, fauteuils et, parfois, du café, boisson, etc. Le fonctionnement du groupement est bien entendu tributaire de cette main protectrice et l’assemblée doit en tenir compte dans ses délibérations (A.MOUKADAS-NOURE ; 2015).

5. Rôle des valeurs morales, religieuses et spirituelles dans le fonctionnement des organes de gouvernance locale ou traditionnelle

En matière de sécurité, de protection et de défense dans les sociétés traditionnelles, certains modes opératoires existent et ont fait leur preuve. Dans les sociétés du Nord-Ouest de la R.C.A jadis, le chef de guerre était chargé de l’accomplissement des rites, de la direction des opérations dans le champ de bataille, du partage de butin, etc. Cependant, dans d’autres types des sociétés de l’extrême Nord, les chefs de guerre sont des « professionnels » ou des chefs de bannière ne vivant que pour la guerre ou les opérations de razzia.

Dans les groupes Rounga et Sara pour ne citer que ces exemples, le chef de guerre après le partage de butin de guerre redevenait un simple citoyen. La conduite de la guerre devient donc de facto un facteur de différenciation sociale en ce sens que celui qui porte ou incarne ces valeurs, est considéré comme une « élite » aux yeux de ses compatriotes. Ces derniers s’en remettent à lui, lequel est chargé d’exercer un rôle d’arbitrage, de représentation voire, de délibération au sein du groupe (A.MOUKADAS-NOURE ; 2015). Souvent, le pouvoir qui est conféré au chef de guerre (société du Nord-ouest) s’exerce dans un cadre religieux mieux, d’une pratique magico-religieuse à l’image de KARINOU de la communauté Gbaya qui distribuait des fétiches à des émissaires qui affluaient de tous les villages avoisinants mais, aussi des villages excentrés, pour prendre part à la guerre qu’il préparait contre les envahisseurs Peuhls et Européens.

6. Absence de leadership dans les négociations, la formulation des revendications, leur négociation et leur légitimation auprès des parties en confli

Au moment où nous écrivons ces pages, la liste des futurs candidats à la magistrature suprême de l’état qui ne cesse de s’allonger (au moins 65 postulants sur une centaine des partis politiques que compte le pays) nous conforte dans l’hypothèse d’une problématique d’absence depuis les années 60 d’un leadership capable de cristalliser autour de lui ou de son programme c’est selon, les aspirations légitimes du peuple centrafricain et surtout, de réaliser la jonction entre le "passé" et "l’avenir".

Dans certains pays d’Afrique, des hommes politiques tels que Félix Houphouët-Boigny, Léopold Sédar Senghor, Ahidjo Amadou, Léon-Mba, Tombalbaye Ngarta, ont pu réaliser, malgré les hostilités qu’ils ont rencontrées de leurs détracteurs, cette « jonction » entre les catégories des ainés et des cadets, lesquelles constituaient une équation à multiples inconnus et dont l’issue est toujours dévastatrice si des solutions ne sont pas trouvées.

Aujourd’hui plus que jamais la Centrafrique est réellement confrontée à une crise de leadership. Un analyste centrafricain a résumé en trois points ce qui semble pour lui les facteurs de blocage qui empêchent l’émergence de ce leader au sein de la classe politique actuelle.

7. Les facteurs de blocage de l’émergence d’un leadership dans la classe politique centrafricaine.

Sous l'impulsion des candidats actuels en vue d’accéder à la magistrature suprême de l’état se dessine trois schémas :

  • la première est qu'une focalisation est faite sur "l'homme providentiel" qui, dès son élection, sauvera la RCA. Cette approche les amène mécaniquement à se dispenser de l'obligation qu'ils ont de soumettre leur vision à débat avant les élections.
  • La deuxième composante est celle de faire du "bruit" autour des "grands partis “qui ont eu à gérer la RCA de manière alternée depuis les indépendances. Cette focalisation sur les "grands partis" dispense les uns et les autres (je veux parler des candidats) d'exposer le programme de leur parti respectif et de nous convaincre sur la méthodologie qu'ils comptent utiliser pour "sauver" la RCA.
  • La troisième et dernière constante est qu'on met en avant avec beaucoup de "bruits" les portefeuilles relationnels dont on dispose à l'extérieur mais on n’explique pas comment ces relations seront mises en valeur pour résoudre le cas centrafricain tout en évitant au pays d'être toujours ce mendiant qui manque d'imagination pour améliorer son sort ». (Constant GOUYOMGBIA-KONGBA-ZEZE ; 2015). De la destruction des institutions de gouvernance traditionnelle à l’effondrement de l’Etat, en passant par le pillage systématique des richesses naturelles, la situation que vivent les centrafricains répond à une dynamique de pouvoir d’Etat bâti sur fond de domination ethno-identitaire qui fait fi de la construction d’une nation unie. Dans ce contexte, quelles sont les méthodes ainsi que les mécanismes et actions à envisager ? Tel sera notre prochaine réflexion incha'Allah.


Dr. Abou-Bakr Abélard MASHIMANGO

Chercheur au Centre International d'Etudes et de Recherches sur les Conflits Armés (CIERCA)

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Superbe rédaction
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