L’agressivité, les violences et l’offensive à outrance : les ressorts sociopolitiques de l’épuration ethnique à Birao, en Centrafricaine Publié dans https://www.revueconflits.com/massacres-centrafrique-birao/ sous le titre de « Centrafrique : massacres à Birao »

Publié le par MASHIMANGO

Mots-clés : APPR-RCA, Birao, Centrafrique, conflit, déplacées, destructions, ennemi, épuration/nettoyage ethnique, FPRC, groupes armés, guerre, massacres, MLCJ, violences

 

Les violences armées en Centrafrique laissent apparaître une équation dont le postulat est que les groupes armés sont frappées par une crise de sens. C’est aussi l’illustration d’une faillite d’un gouvernement qui peine à saisir toutes les opportunités présentes qu’offre l’Accord Politique pour la Paix en République Centrafricaine (APPR-RCA) et à prendre des décisions qui vaillent pour le rétablissement de la paix[1]. C’est surtout la démonstration de l’insuffisance des militaires de la Mission multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) dans la protection des populations civiles.

Cet article ouvre la voie à une discussion sur l’étude des violences armées, comme celles de Centrafrique, qui reconnaissent la complexité, la conjonction et les interactions entre plusieurs facteurs. Il consiste en une réflexion approfondie transversale des violences armées dans leurs manifestations. C’est aussi une analyse des violences armées qui acheminent vers des massacres, des pogroms, des génocides[2], des ethnocides[3], des démocides[4], des politicides[5], des urbicides[6], des déplacements massifs des populations, des nettoyages ou épurations ethniques[7], des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Le Centrafrique dans la tourmente des violences armées aux conséquences humanitaires très lourdes

De l’esclavage au « néo-colonialisme » (Kwame Nkrumah, 1965) ou à la « Postcolonie » (Achille Mbembe, 2000), la crise centrafricaine s’inscrit dans un contexte et dans un moment de l’histoire. C’est une crise qui s’est développée selon des mécanismes autonomes et incontrôlés, liés à la fois au sous-développement, à l’ethnicité, à la mauvaise gouvernance politique, à la fragmentation de l’espace national non contrôlée par l’Etat, à des modes spécifiques d’insertion de l’Afrique dans la mondialisation et aux phénomènes transnationaux, tels que la transhumance transfrontalière, le trafic d’armes et la criminalité transfrontalière conséquente, liée à la porosité des frontières étatiques ; etc.

Depuis la mutinerie de 1996, la rébellion de 2003 qui porta le Général François Bozizé au pouvoir et celle de 2012 qui porta éphémèrement Michel Djotodia au pouvoir, le Centrafrique est enfoncé dans des violences politiques qui se diffusent et se banalisent dans la durée.  Alors que tout portait à admettre que l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation en République Centrafricaine (APPR-RCA) – connu sous l’appellation « Accord de Paix de Kharthoum » – avait bien apaisé les tensions politico-militaires entre les factions, il n’en demeure pas moins que les combats conséquents aux attaques des positions du Front Populaire pour la Renaissance de Centrafrique (FPRC), à Am-Dafock et à Birao, dans la préfecture de la Vakaga, respectivement le 14 juillet 2019 et le 1er septembre 2019, par le Mouvement des Libérateurs Centrafricains pour la Justice (MLCJ) viennent diluer les espoirs portés sur l’APPR-RCA. Il faudra également souligner que ces attaques aux effets sécuritaires et humanitaires déplorables ont été précédés notamment des autres violations de l’Accord, telles que : l’accrochage, le 22 et 24 février 2019, à Lihoto, axe Bambari – Kouango, dans la préfecture de la Ouaka, entre les Anti-Balaka et l’UPC ; les tueries perpétrées contre les populations civiles de Koundjili, Djoumjoum, Bohong et Lemouna, dans la préfecture de l’Ouham-Pendé, le 21 mai 2019, par le mouvement Retour, Réconciliation et Réhabilitation (3R). 

Une violence armée de trop aux effets dévastateurs 

Tout a commencé le 14 juillet 2019, lorsque les combattants du MLCJ, à la suite d’une saisie d’armes et des munitions opérée par le FPRC à Am-Dafock, village située à 65 Km au nord de Birao, à la frontière centrafricano-soudanaise, dans la préfecture de Vakaga, ont décidé d’ouvrir les hostilités contre les positions du FPRC. Le bilan de cette confrontation a été lourd des conséquences : une dizaine des morts et des blessés. Depuis, la situation est restée tendue dans la préfecture de la Vakaga, particulièrement dans la ville de Birao et ses environs, où les deux groupes armés, pourtant signataires de l’APPR-RCA, étaient déjà en situation d’hostilité. 

En date du 1er septembre 2019, sous prétexte de venger la mort du fils de Sultan-maire de Birao, les combattants de MLCJ, appuyés par ceux du Parti du Rassemblement de la Nation Centrafricaine (PRNC) et des criminels soudanais recrutés pour les circonstances, ont encore attaqué les positions des combattants du FPRC. Les combats ont duré 3 jours, pendant lesquels la ville de Birao a sombré dans des violences armées. 38 morts et 17 blessés (civils et combattants réunis), selon la MINUSCA ; plus de 19 000 personnes déplacées par les combats, composées en majorité des femmes et des enfants, selon l’Office des Nations Unies pour la Coordination Humanitaire (UNOCHA) ; des villages dévastés par les incendies et destructions des maisons, et les pillages des biens. C’est en ces termes que se prononce le bilan des combats du 1er au 3 septembre 2019 qui ont opposé, à Birao, les « deux frères ennemis » de la mouvance ex-Seleka[8] (MLCJ et FPRC). Au-delà des statistiques, ces chiffres sont la démonstration de la dimension destructive des combats dans un pays où plus de 2/3 de la population (2,9 millions de centrafricains selon UNOCHA) vit de l’aide humanitaire, 70% de la population n’a pas accès à l’eau potable et 1,8 millions des personnes souffrent d’insécurité alimentaire. C’est également la traduction de la caractéristique d’une brutalité guerrière dictée par une impulsion belliciste et une offensive à outrance propres aux « anarchies équilibrées » (Hubert Deschamps, 1978) ; c’est-à-dire propres aux guerres identitaires, mais surtout aux guerres de prédation ou de jacqueries (Pascal Chaigneau, 2002 ; Collette Braeckman, 2003 ; Valérie Dupont, 2011).

La mort du fils de Sultan-Maire de Birao comme prétexte 

Le 29 août 2019, vers 23h00, un meurtre est commis par les combattants du FPRC chargés de sécuriser le marché de Birao. Malheureusement la victime n’est autre que le fils du Sultan-Maire de Birao. Le FPRC présente ses excuses à la famille endeuillée et, comme l’exige la coutume locale, prend en charge les frais funéraires (on parle d’une somme de 500.000 francs CFA). Dans son oraison funèbre, le père de la victime appelle au calme et à la retenue. Il demande les membres de sa communauté de ne pas se livrer à la vengeance, considérant la mort de son fils « d’accident », selon ses propres mots. Mais c’était sans prendre en considération la frustration du MLCJ à la suite du revers et humiliation subis à Am-Dafock, le 14 juillet 2019, lors de son offensive sur les positions du FPRC. Pour le MLCJ, c’était l’occasion d’en découdre une fois pour toute contre le FPRC dont le dispositif à Birao était déjà réduit au strict minimum dans le cadre de la mise en œuvre des engagements à l’APPR-RCA (point 3.f. de l’annexe 1 et l’article 5.i.), particulièrement en ce qui concerne le démantèlement des barrières illégales et la libération des bâtiments publics. 

La mort du fils de Sultan-maire de Birao ne sert que de prétexte, parce que la réunion de préparation de l’attaque des positions du FPRC et leurs « complices » ; autrement dit les communautés « sceptiques-pessimistes » (Abou-Bakr Mashimango, 2018, p. 54) qui n’adhèrent pas au projet de fragilisation du FPRC a eu lieu le mercredi, 28, et le jeudi, 29 septembre 2019, avant même « l’incident du marché ». La réunion s’est tenue à Délémbé, village à majorité Kara, situé à 55 Km au sud de Birao, sur l’axe Birao – Tiringulu. Outre les combattants du MLCJ et des mercenaires soudanais, recrutés pour la circonstance, ont également assisté à cette réunion de planification de l’attaque de Birao, les combattants du Parti du Rassemblement de la Nation Centrafricaine (PRNC), le 15ème groupe armé créé en juin 2019 (après la signature de l’APPR-RC) par les « Goulas dissidents » du Rassemblement Patriotique pour le Renouveau de la Centrafrique (RPRC) et dont le siège est à Tiringulu. Il est à souligner que le FPRC, dans son communiqué de presse du 18 juin 2019 s’est démarqué de ce nouveau groupe armé.

 L’APPR-RCA, un processus de paix fragilisé

Au-delà de la crise humanitaire, les conséquences politiques des combats de Birao sont la fragilisation de l’APPR-RCA. Il faudra rappeler que parmi les 18 groupes armés, 14 ont participés au processus de paix, tel qu’initié par le panel des médiateurs de l’Union Africaine et sont signataires de l’APPR-RCA[9]. A l’issue de ce dialogue, un Premier Ministre, Chef de gouvernement, est désigné en la personne de Monsieur Firmin Ngrebada, ancien Directeur de Cabinet du Président de la République. A peine signé, cet Accord s’est heurté à des obstacles. D’abord, il y a eu la contestation des groupes armés contre la première équipe gouvernementale. Non seulement certains groupes armés et partis politiques ont manifesté leur désapprobation à l’égard du gouvernement désigné (KNK, FPRC, UPC, MLCJ) et d’autres se sont retirés de l’Accord de Khartoum (FDPC, MPC) ; mais encore il y a eu des mouvements de contestation « ville morte » dans certaines villes du pays, particulièrement à Bambari, Bria et N’délé, ainsi que la prise d’otage de neuf personnes et le blocage de la Mainly Supply Road n° 1 (MSR1) par les combattants du FDPC, à Zoukombo, à l’Ouest du pays, à 35 Kms de Baboua. C’est à la suite de ces désapprobations et actions politiques violentes que l’Union Africaine a convoqué une réunion de point de situation de mise en œuvre de l’APPR-RCA, à Addis-Abeba, le 18 mars 2019 et qu’un gouvernement consensuel a été mis en place.

Sept mois après, on constate que la mise en œuvre de l’APPR-RCA peine à se mettre en place, particulièrement l’article 4, points a., c., f., i., r., s., t., u. Mais le point saillant de la défaillance de l’Etat dans la mise en œuvre de l’APPR-RCA réside dans la mise en place des arrangements sécuritaires transitoires (article 16 et 17) ; lesquels arrangements permettraient :

  • D’éviter des vides sécuritaires constatés après le démantèlement des barrières illégales et assurer la prise en charge des éléments qui seront désormais démobilisés ;
  • D’anticiper des réponses aux problèmes sécuritaires liés notamment à la transhumance, le braconnage, la criminalité transfrontalière, et assurer ainsi la circulation et la sécurité des biens et des personnes ; et
  • De restaurer progressivement l’autorité de l’Etat dans la zone et le retour des services publics.

Mais les conditions que posent les partenaires de Centrafrique dans le cadre du Plan National de Relèvement et Consolidation de la Paix en Centrafrique (PNRCPCA) posent problème en ce sens qu’elles retardent la mise en place des arrangements sécuritaires transitoires (articles 16 et 17 de l’APPR-RCA). Elles participent, de ce fait, à la fragilisation de l’APPR-RCA et au maintien du statu quo. Pourtant les articles 23, 24, 25 et 26 de l’APPR-RCA ne souffrent d’aucune ambiguïté quant aux engagements de la région et de la communauté internationale. 

Dans le contexte comme celui de Centrafrique où l’Etat n’est pas un acteur cohérent et où le régime affiche ouvertement un comportement qui ouvre la voix à tous les retournements, la question est de savoir comment construire la paix en Centrafrique et renforcer la mise en œuvre de l’APPR-RCA, outil qui, malgré ses faiblesses, ouvre le chemin de la solidarité et de l’union entre les centrafricains, au-delà de leurs différences (ethniques, culturelles et cultuelles). 

Quelques explications : les facteurs déterminants et les éléments constitutifs des violences armées du 1er au 3 septembre 2019, à Birao

Les facteurs conflictogènes sont complexes et interdépendants. La première explication est liée à l’ethnicité comme mobilisation des attachements primordiaux et sociobiologiques (liens de sang), comme « attributs sacrés ». Ces attachements ou attributs structurent les « solidarités préférentielles » et la « dichotomisation de l’organisation sociale » en jouant sur une histoire commune, des buts, des intérêts, des gloires et des échecs communs (Abou-Bakr Mashimango, 2012). Ils sont élaborés ou différenciés par des « marqueurs » identitaires symboliques comme la communalisation (relations sociales fondées sur le sentiment subjectif d’appartenir à une communauté) et la sociation (relations sociales basées sur des compromis d’intérêts).

Dans le cas concret de Birao, l’ethnicité, la communalisation et la sociation, comme phénomènes sociaux et politiques qui fondent le jeu des relations sociales et qui font que les individus interagissent, ont, d’un côté, facilité l’exacerbation ou la radicalisation de l’antagonisme contre l’« ennemi déclaré » – le FPRC et ses « ethnies complices » – et, de l’autre, rendu possible l’alliance et la coopération de circonstance entre les Goulas du PRNC et les populations Kara du MLCJ contre les autres ethnies de Birao (Runga, Haoussa, Borno, Borgo ou Ouadaï, Salamate, Sara, Massalite, Dadjo, etc.). Rappelons qu’en janvier-février 2019 les relations entre Goulas et Kara étaient conflictuelles et très tendues, également à la suite d’une attaque des sujets Kara du FPRC sur des individus Goulas du RPRC, à Tissi, village situé à 80 Km de Birao, sur l’axe Nord, à la frontière Centrafrique – Tchad. Ce conflit a été solutionnée grâce à l’intervention du Général Noureidine Adam, 1er Vice-Président du FPRC, et Abdoulaye Issène Ramadane, Président du Conseil National de Défense et de Sécurité (CNDS), branche armée du FPRC, qui ont payé respectivement 5 000 000 F CFA et 600 000 F CFA chacun de « Diya » (droit du sang)[10] pour éviter qu’un conflit armé ouvert éclate dans Birao entre les Goulas et les Kara. 

Les violences de Birao trouvent également leur explication dans une construction basée sur les « habitus » (Pierre Bourdieu, 1972, p. 282), c’est-à-dire les structures mentales qui se constituent au travers de nos premières expériences (habitus primaires) et de notre vie d’adulte (habitus secondaires), s’impriment dans nos têtes et nos corps comme « un système de dispositions durables et transposables » (Bourdieu, 1980). Il s’agit en effet des inclinations ou « principes générateurs » qui permettent de percevoir, sentir, faire et penser selon les codes propres, intériorisés et incarnés inconsciemment par chaque individu, du fait de son environnement, de son éducation, de ses conditions d’existence et de sa trajectoire sociale. Les dispositions qui construisent la violence guerrière à Birao sont donc fortement enracinées dans l’imaginaire individuel et collectif, construit au travers des uchronies, des discours et des représentations dynamiques et mobilisateurs qui développent la « logique persécutive ». Le but étant de créer une régénération émotionnelle des individus et des communautés et, au passage, inciter aux actes de violence sous la bannière de vengeance, de résistance, de bravoure, du courage, d’héroïsme… Derrière le folklore tragique et meurtrier à caractère, à la fois, dépréciative et destructrice des violences armées de Birao transparaît le désarroi, des douleurs, des humiliations et frustrations des communautés.

L'autre explication est politique. Elle se rapporte au matériau sur lequel s’exerce le pouvoir : l’appareil d’Etat ou l’organisation de la composition territoriale. L’appareil d’Etat pose des problèmes qui donnent un sens particulier à la sociologie politique des violences armées actuelles à Birao. Non seulement l’absence d’un contrat social élaboré n’est plus à démontrer, mais encore la faiblesse, l’inaptitude et l’incapacité de l’Etat à faire face aux différentes décompositions sociales sont flagrantes. Il en résulte des ethnicités qui emblématisent les antagonismes, favorisent les formes militaires ou paramilitaires de mobilisation et, ainsi, la compétition extra-institutionnelle du pouvoir. Nous admettons ainsi que les violences armées de Birao, du 1er au 3 septembre 2019, présentent un caractère délibéré, structuré et politique. Elles relèvent d’une lutte armée et sanglante entre deux groupes armés, organisés et signataires de l’APPR-RCA. La mort du fils du Sultan-maire de Birao, comme la motivation des combats, n’est qu’un alibi pour faire germer la volonté homicide, parce que les pulsions belliqueuses et les « ressorts psychosociologiques de la guerre » (Gabriel Tarde, 1901) étaient déjà suffisants pour susciter l’adhésion des protagonistes. Pour les combattants affiliés au MLCJ, les combats étaient inévitables et/ou souhaitables. Les nettoyages ou épurations ethniques commis sont une expression géographique, démo-économique et sociopolitique, subjective et objective du « phénomène guerre » (Gaston Bouthoul, 1962). Ils comportent des interactions entre les facteurs infranationaux, internationaux et transnationaux. Autrement dit, des aspects endogènes, tels que : l’inexistence de l’autorité de l’Etat et la volonté d’affaiblir l’influence et/ou « l’emprise fraternelle » du FPRC sur d’autres groupes armés de la faction ex-Seleka. Plus que par les mobiles géopolitiques et stratégiques, il se vérifie également que les violences armées de Birao obéiraient à la logique de protection des intérêts issus de l’activité militaro-économique, telle que la perception des taxes illégales, liées au contrôle de la transhumance et de la circulation des marchandises sur les axes. Ces intérêts mêlent et combinent toutes les dimensions constitutives de la vie sociale, économique, politique et sécuritaire dans la région Nord-est. C’est avec les richesses pillées et les taxes illégalement perçues que les groupes armés de Centrafrique bâtissent une « machine de guerre » (Gilles Deleuze, 1980). De ce point de vue, nul doute que l’attaque des positions du FPRC par le MLCJ, le 1er septembre 2019 répond à des fonctions à la fois économique (prédation : acquisition et redistributions des biens par le pillage), statutaire (affaiblir la légitimité et la position du FPRC, valoriser le poste ministériel occupé par l’actuel Chef du MLCJ et maintenir le privilège social conséquent), ethno-identitaire (marquage, maintien et mise en valeur des frontières symboliques et territoriaux), punitive  et judiciaire (venger la mort des combattants tués à Am-Dafock, lors de l’offensive sur les positions du FPRC, le 14 juillet 2019, et faire payer les pertes subies) et démographique (chasser les populations « allogènes » par la destruction des maisons, des quartiers).

Sur le plan polémologique, les combats de Birao, du 1er au 3 septembre 2019, non seulement ils constituent une expérience individuelle et collective particulièrement douloureuse qui s’accompagne de privations (pénuries), de destructions physiques et psychiques, de souffrances et de menaces sur l’existence même des personnes ; mais encore ils ont rompu les liens de solidarité générale entre les ethnies, favorisé le replie sur des solidarités particulières et élargi les clivages en fractures.

Conclusion : la guerre pour la paix

Il n’est aucun doute que le retour à une paix durable en Centrafrique passe inéluctablement par un processus de conclusion d’un nouveau pacte de cohésion sociale, basé sur l’égalité citoyenne, le consensus, le compromis et la participation de tous à la gouvernance du pays. Le fait que les communautés de Birao soient organisées en vue d’être capable de faire la guerre et d’y être prêt, signifie que la paix sert à préparer la guerre et que la guerre elle-même est le système social fondamental, à l’intérieur duquel s’inscrivent les modes dérivés d’organisation sociale (Gaston Bouthoul, 1991). Raymond Aron, cité par Rachel Maendeleo (2013, épigraphe), postule : « L’art politique enseigne aux hommes à vivre en paix à l’intérieur des collectivités, il enseigne aux collectivités à vivre soit en paix, soit en guerre ». De ce postulat, il résulte que la guerre est l’activité normale de la société, dans la mesure où elle tend vers la pacification sociale. D’où la nécessité de réinventer le pacifisme, créer un pacifisme conséquent qui appelle à un examen des racines de la guerre[11], car l’inquiétude de la reprise des hostilités est réelle et fondée. Pour les groupes armés, le gouvernement sombrerait dans l’excès de confiance et afficherait une attitude méprisable envers les groupes armés. Ce qui créerait une situation susceptible à tous les retournements, lesquels plongeraient le Centrafrique dans une crise similaire que celle de la Libye. D’autres opinions, considérerait de belliqueux le comportement de certains leaders des groupes armés qui, par ailleurs, excelle dans la violation de l’APPR-RCA comme en témoigne les violences armées de Birao. Ce qui veut dire que le processus de paix repose sur des bases très fragiles, à tel point que seul l’issu militaire semblerait être l’option pour le passage de la guerre à la paix en Centrafrique. Mais ce n’est pas mon opinion. Je considère que la construction de la paix doit se faire dans les esprits, dans les cultures, comme mentionné dans le préambule de la constitution de l’UNESCO selon lequel « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». 

Références bibliographiques, vidéothèques et Sites Internet

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[1] En date du 10 juillet 2019, le FPRC a adressé un mémorandum au Président de la République, Chef de l’Etat, avec ampliation aux garants et facilitateurs de l’APPR-RCA ; dans lequel le FPRC expose des propositions pour la mise en œuvre de l’APPR-RCA. Ce mémorandum est resté sans suite et classé suite. Conscient des enjeux et défis, le FPRC a récidivé avec une lettre le 3 septembre 2019 dans lequel il expose ses inquiétudes et réitère ses propositions. Comme le précédent document, la lettre demeure sans suite.

[2] Nations Unies, Recueil d’instruments internationaux, Volume I, deuxième partie, New York et Genève, 1994, p. 689-690. Le génocide est définit au titre de l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 1948/1951 en ces termes : « Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

[3] Destruction culturelle et psychologique d’un peuple

[4] Massacres ou meurtres de masses perpétrés par un gouvernement ou des officiels agissant sous l’autorité du gouvernement

[5] Meurtres programmés, prémédités en fonction de leurs opinions politiques

[6] Destruction volontaire des villes et leur patrimoine

[7] Les nettoyages ou épurations ethniques n’ont pas la même structuration juridique que le génocide. C’est une politique de transformation violente du peuplement, coordonnée, généralement exécutée en temps de guerre, et caractérisée par des exactions de grande ampleur contre une population civile dans le but de l’expulser du territoire. De cette définition, il résulte que ce qui s’est passé à Birao les 1er, 2 et 3 septembre 2019, est un « nettoyage ethnique de prédation ».

[8] « Seleka » signifie coalition. Comme son nom l’indique, c’était une agrégation hétérogène de cinq mouvements rebelles dont les composantes avaient une grande autonomie d’action, à savoir :

  • Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP), dirigé militairement par le général Noureddine Adam et Eric Néris-Massi comme porte-parole,
  • Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR) de Michel Djotodia, actuel Président de la République Centrafricaine (depuis le 24 mars 2013),
  • Front Démocratique du Peuple Centrafricain (FDPC), dirigé par Martin Koumtamdji, alias Abdoulaye Miskine
  • Convention Patriotique du Salut du Kodro (CPSK) de Mohamed-Moussa Dhaffane
  • Alliance pour la Renaissance et la Refondation (A2R), devenue depuis le 18 mars 2013 Mouvement pour la Renaissance et la Refondation (M2R) / mouvement politique alternatif en RCA, coordonnée par Salvador Edjezekanne.

Après la démission de Michel Djotodia, le retrait temporaire de Noureidine Adam et le retour de Moussa Assimeh, la Séléka a, en date du 10 mai 2014 organisé un congrès, à N’délé. Le but était de réorganiser les troupes, de mettre de l’ordre dans ses rangs et se doter d’une crédibilité politique. Un état-major et une coordination politique ont été ainsi mis en place. Mais, très vite cette initiative a été vouée à l’échec. Du 5 au 7 juillet 2014, une assemblée générale des factions ex-Seleka a eu lieu à Birao, dirigée par le Général Noureidine Adam, à l’issue de laquelle a été créée le FPRC. Il en est suivi également la création d’autres mouvements satellites ex-Seleka, notamment : le Rassemblement Patriotique pour le Renouveau de la Centrafrique (RPRC), l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), le Mouvement Patriotique Centrafricain (MPC), le Mouvement des Libérateurs Centrafricains pour la Justice (MLCJ) et la Séléka Rénovée.

[9] Le Front Populaire pour la Renaissance de Centrafrique (FPRC), le Rassemblement Patriotique pour le Renouveau de la Centrafrique (RPRC), l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), Mouvement Patriotique Centrafricain (MPC), Anti-Balaka Mokom (AB Mokom), Anti-Balaka Ngaïssona (AB Ngaïssona), Séléka Rénovée, Retour, Réclamation et Réhabilitation (3R), Révolution Justice-Belanga (RJ-Belanga), Révolution Justice-Sayo (RJ-Sayo), Front Démocratique du Peuple Centrafricain (FDPC), Mouvement des Libérateurs Centrafricains pour la Justice (MLCJ), Union des Forces Républicaines (UFR) et Union des Forces Républicaines-Fondamentales (UFR-F).

[10] En Islam, le prix de sang (diya) s’inscrit dans le cadre de la loi du talion (quisâs), qui constitue l’un des préceptes fondamentaux du judaïsme. D’ailleurs, plusieurs passages de la Bible affirment que tout sang versé doit être expié (Genèse, chap. 9, verset 6). Alors que la Bible insiste sur la vengeance (Les nombres, chapitre 35, verset 31 – 33), la tradition musulmane, elle, se distingue en introduisant la notion de Diya (Coran II, 178).

La diya (diyât au pluriel), dérive du verbe wadâ. Etymologiquement, elle signifie « ce qui est versé en compensation ». Le Coran prescrit la diya seulement pour un homicide involontaire d’un croyant sur un autre croyant. Le verset 92, du chapitre IV, est sans ambiguïté 

[11] Le projet bouthoulien consiste en la création d’un pacifisme scientifique. « Prétendre interdire la guerre alors que nous ignorons encore ce qu’est au juste cet étrange phénomène social, est aussi absurde que défendre de tomber malade », estime-t-il. Il suffit d’examiner l’importance et les fonctions de la guerre dans l’histoire des sociétés humaines pour se rendre compte de l’impossibilité d’abolir la guerre (Gaston Bouthoul, La paix indésirable ? rapport sur l’utilité des guerres, préface de H. McLandress (J.K. Galbraith), Introduction de L.C. Lewin, présentation Christian Schmidt, Paris, Calmann-Lévy, 1984 (1967), 238 p.).

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