Des lois pour tuer des droits

Publié le par MASHIMANGO

La politique française de l'immigration est une négation radicale des droits fondamentaux de la personne. Elle restreint le droit au séjour pour les migrants et leurs familles et s’attaque au séjour des malades étrangers. La France franchit un nouveau seuil dans la violation des droits humains, notamment le droit d’asile et le droit des migrants. L’ensemble des textes gouvernementaux trouve pleinement leur place dans un projet de société de plus en plus tourné vers un ordre sécuritaire.



Le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA), les  et la circulaire du 21 février 2006 donne à la police des moyens et des pouvoirs exorbitants pour mener la chasse aux étranger sans papiers. 

L’ensemble des dispositions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers est régi par une loi de police de 1945 qui, depuis, a été maintes fois modifiée. Cette ordonnance avait pour vocation d’entraîner et d’organiser la venue des travailleurs des anciennes colonies. La première rupture s’est faite en 1981. La carte de séjour n’était plus forcément liée au permis de travail, le droit d’accès à la protection sociale se rapprochait de celui des travailleurs nationaux.

Les lois dites Pasqua de 1986 et 1993, non seulement créèrent les catégories de sans-papiers que nous connaissons, mais retirèrent le droit de travailler aux demandeurs d’asiles. Les lois Chevènement de 1998, puis Sarkozy de 2003 ont voulu, dans leur rédaction, redonner de la stabilité aux sans-papiers. En pratique, elles n’ont fait qu’aggraver la situation, en posant de telles conditions à l’entrée et au séjour qu’il devient quasi impossible de régulariser sa situation. Le CESEDA introduit des notions nouvelles et réduit les étrangers à une force de travail, sans référence à une quelconque situation familiale ou privée. S’inspirant pour partie de la politique européenne à venir, le CESEDA consacre officiellement une reprise de l’immigration et l’enferme dans une approche entièrement utilitariste. Il correspond ainsi au nouveau mot d’ordre gouvernemental : arrêter avec l’immigration subie, et promouvoir une immigration choisie, deux caractéristiques majeures qui résument cette loi : des atteintes sans précédent aux libertés et droits fondamentaux (au nom de cette  "immigration subie") et l’instauration d’une immigration de travail jetable (pour le compte d’une "immigration choisie").

Le recours aux étrangers utiles pour l’économie française avec le blocage de toutes arrivées, s’accompagne d’une véritable traque systématisée par une circulaire du 21 février 2006. Nicolas Sarkozy (à l‘époque Ministre de l’Intérieur) et Pascal Clément (Ministre de la justice de l’époque) organisent ainsi la recherche des étrangers en situation irrégulière, en se donnant les moyens d’arrêter les « sans-papiers » dans les lieux publics.

Le ministre de l’Intérieur qui se targue d’être l’abolitionniste de la double peine, non seulement prône la généralisation du prononcé de peines d’interdiction du territoire français, mais aussi met en lace une méthodologie d’arrestations à domicile avec présence ou pas est décrite dans les détails : les mariages (dont une loi spécifique en mars 2006 rend plus difficile les possibilités) sont également visés, les policiers peuvent ainsi arrêter au domicile de futurs époux ou épouses avant le passage devant le maire. Les caisses primaires d’assurance maladie viennent de refuser d’ouvrir ou de renouveler la complémentaire couverture maladie universelle (CMU) pour les étranger(e)s gravement malades. Ces consignes sont données par une circulaire dans une lettre-réseau du 27 février 2006 dite point AME/CMU n°66. Se développent également une tactique d’éloignement dans d’autres régions des familles pour réduire la solidarité.

Il convient d’emblée de préciser que notre analyse du texte met l’accent sur les points les plus saillants, et dans le même temps souvent les plus dangereux, de cette réforme du droit d’asile, notamment la délivrance de la carte « vie  privée et familiale » (I), le regroupement familial (II), le travail des étrangers (III), la carte « Capacité et talents » (IV) et l’éloignement (V).

 

I. La délivrance de la carte « vie privée et familiale ».

 

Les conditions de délivrance de cette carte sont très nettement durcies au point de rendre ineffectif le droit de faire valoir le respect de sa vie privée et familiale auprès des autorités préfectorales. De façon générale, la carte de séjour temporaire – qui comprend la carte « vie privée et familiale » – est subordonnée à la production d’un visa long séjour, dit d’établissement. Certaines exemptions sont prévues, à savoir :

 

  1. La fin des possibilités légales de régularisation

 

Le texte supprime ou modifie radicalement les cas de délivrance de ce titre qui permettait d’obtenir une régularisation. D’abord, il abroge le 3° de l’article L. 313-11 du CESEDA. Cette disposition prévoit de délivrer de plein droit une carte « vie privée et familiale » à celui qui justifie par tout moyen résider en France depuis au moins 10 ans (ou 15 ans si, au cours de cette période, il a séjourné en tant qu’étudiant).

La loi du 26 novembre 2003 avait déjà rendu plus difficile la possibilité d’obtenir une carte à ce titre en empêchant l’étranger de se prévaloir de documents falsifiés ou d’une identité usurpée. Il est constant que la preuve du séjour habituel pendant une période de 10 ans est difficile à administrer, contrairement à ce que prétend le ministre de l’intérieur. Le gouvernement veut donc supprimer cette « automaticité » et laisser les préfets faire usage de leur pouvoir de régularisation. Autant dire qu’il sera à l’avenir très difficile d’arguer de la durée prolongée de son séjour en France pour sortir de la précarité administrative et que les différences de pratiques préfectorales, qui existent déjà, ont vocation à devenir la règle.

 

La loi s’acharne aussi sur le 7° de l’article L. 313-11. Elle énumère une série de conditions privant la catégorie d’étrangers à laquelle il est destiné de toute réalité. Selon cette disposition, reçoit de « plein droit » une carte « vie privée et familiale » celui qui n’entre dans aucune des autres catégories (parents d’enfant français, conjoints de Français, jeunes arrivés en France avant d’avoir atteint un certain âge – aujourd’hui 13 ans, demain 10 ans – membres de famille livrés à la procédure du regroupement familial…) mais « dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que les refus d’autoriser son séjour porterait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ». Cette hypothèse de délivrance de titre avait été intégrée dans le Code (à l’époque dans l’ordonnance du 2 novembre 1945) afin de tenir compte des exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme garantissant le respect de la vie privée et familiale. Peu de cartes sont délivrées dans ce cadre. Le CESEDA encadre sa délivrance en fixant des conditions que l’étranger candidat ne pourra pas – sauf exception – remplir cumulativement. Le niveau des conditions fixées – sachant que le dispositif s’adresse à des personnes qui sont en situation irrégulière – revient à supprimer cette possibilité légale de régularisation, et partant de là interroge le respect de l’article 8 précité.

 

En effet, pour pouvoir « candidater », l’étranger devra justifier :

- de liens personnels et familiaux, stables et intenses depuis au moins cinq ans ;

- de ressources stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins (au moins égales au

SMIC). On prendrait toutefois en compte les ressources dont l’étranger pourra disposer selon les termes d’une promesse d’embauche ;

- d’un logement dont la localisation, la superficie, le confort et l’habitabilité permettent son insertion et le cas échéant celle de sa famille ;

- de son intégration républicaine (adhésion personnelle aux principes qui régissent la

République et connaissance de la langue française…).

Ces exigences sont telles que certains arbitrages ne paraissent pas encore faits pour parvenir à une rédaction définitive. C’est dire si les auteurs ont eu la main lourde…

 

  1. Les couples franco-étrangers : de l’amour suspect à l’amour interdit.

 

Les mariages entre Français et étrangers sont perçus par les tenants de l’immigration utilitariste comme un facteur important « d’immigration subie ». On assiste depuis trois ans à des restrictions majeures au droit fondamental à se marier en suspectant systématiquement tout mariage franco-étranger d’être un mariage de complaisance.

La loi du 26 novembre 2003 a ainsi mis en place tout un arsenal faisant obstacle au mariage des étrangers sans-papiers : délit de mariage de complaisance (art. L. 623 du CESEDA) et renforcement des contrôles avant la célébration (art. 63 et 170 du code civil). En outre la présomption de fraude sur les mariages célébrés à l’étranger et la longueur des procédures de transcription dans l’état civil français permet de bloquer interminablement la venue d’un conjoint étranger.

 

Le CESEDA instaure un véritable parcours du combattant pour un couple franco-étranger désireux de se marier.

 

L’accès au droit au séjour du conjoint de français étroitement filtré.

En premier lieu, la carte de séjour temporaire est conditionnée par une entrée et un séjour réguliers.
Article L313-11 modifié: – « Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale» est délivrée de plein droit :

4° A l’étranger, ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition qu’il justifie d’une entrée et d’un séjour réguliers, que la communauté de vie n’ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, qu’il ait été préalablement transcrit sur les registres de l’état civil français. »

 

Jusqu’alors, la régularisation par le mariage était possible sous deux conditions : de pouvoir justifier d’une entrée régulière sur le sol français et d’une communauté de vie avec son conjoint. Le CESEDA introduit l’exigence supplémentaire pour l’étranger d’être en séjour régulier.

 

Qui pourra bénéficier alors de cette carte de séjour du fait de son mariage ?

-          l’étranger muni au moment de la demande d’une carte de séjour temporaire à un autre titre. En effet si, postérieurement à son entrée irrégulière en France, une carte de séjour a été délivrée, l’entrée irrégulière ne peut être opposée.

-          l’étranger dont le séjour est régulier parce que son visa d’entrée est encore valable.

-          l’étranger muni d’un titre de séjour provisoire (autorisation provisoire de séjour ou récépissé de demande d’asile) et entré régulièrement en France. En effet, selon l’article L311-5 du CESEDA, l’entrée n’est pas régularisée par un séjour régulier dû à ces titres.  Certes, la condition antérieure d’entrée régulière était déjà un obstacle majeur au droit au séjour d’un conjoint étranger de Français. Le nouveau dispositif fermerait cependant l’accès à cette carte à de nombreuses personnes y ayant actuellement droit.

-          L’étranger entré irrégulièrement en France et ayant bénéficié d’une carte de séjour non renouvelée, pour raison de santé par exemple (loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité).

-          L’étranger entré régulièrement en France et sans papiers au moment de la demande.

 

Le PaCS ?

 

Un Français et un sans-papiers entré irrégulièrement en France peuvent actuellement contracter un PaCS qui peut leur assurer après une année de vie commune une carte de séjour temporaire vie privée et familiale. Ce droit est issu de l’article L313-11-7° actuellement en vigueur, grâce à une bataille juridique gagnée en 2002 et confirmée par une circulaire de 2004. Muni de ce titre, le couple pouvait envisager tranquillement le mariage. Aujourd’hui, la seule condition relative au renouvellement de cette carte de séjour est que « la communauté de vie n’ait pas cessé » ; la loi fragilise encore plus gravement ce droit en y ajoutant la condition subjective d’ « intégration républicaine », laissant une large marge d’appréciation aux préfets.

 

2° Fin de la délivrance de plein droit de la carte de résident et allongement des délais d’obtention.

 

L’article L314-11 du CESEDA en vigueur actuellement donne accès de plein droit à la carte de résident, sous réserve de séjour régulier, « A l’étranger marié depuis au moins deux ans avec un ressortissant de nationalité française, que la communauté de vie n’ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, qu’il ait été préalablement transcrit sur les registres de l’état civil français. »

La loi fragilise là encore profondément ce dispositif. L’article L314-9 : « La carte de résident peut également être accordée (…) : A l’étranger marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant de nationalité française, que la communauté de vie n’ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, qu’il ait été préalablement transcrit sur les registres de l’état civil français". L’article L314-5-1 dispose : «  En cas de rupture de la vie commune, la carte de résident délivrée sur le fondement de l’article 3° de l’article L 314-9 peut, dans la limite de quatre années à compter de la célébration du mariage, faire l’objet d’un retrait. »

 

Ce titre était depuis vingt ans attribué de plein droit après un an de vie commune. La loi du 26 novembre 2003 l’avait porté à deux ans. Le renouvellement était de plein droit. La loi prévoit trois années de mariage avant la délivrance d’une carte de résident et introduit une différence majeure : la délivrance devient discrétionnaire soumise au critère d’« intégration républicaine ».

De surcroît, il faut maintenant quatre années de vie commune avant que le conjoint d’un Français n’acquière un droit au séjour autonome. Avant ce délai de quatre années, la rupture de la vie commune autorise le préfet à retirer la carte de résident.

 

3° L’accès à la nationalité

Article 21-2 du code civil. « L’étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux et que le conjoint ait conservé sa nationalité. Le conjoint étranger doit en outre justifier d’une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française. Le délai de vie commune est porté à cinq ans lorsque l’étranger, au moment de sa déclaration, ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins trois ans en France à compter du mariage. »

Une déclaration de nationalité est, dans les autres cas prévus par le code civil, reçue par le tribunal d’instance et enregistrée selon une procédure assez simple. Depuis la loi du 26 novembre 2003, l’accès à la nationalité du conjoint de Français est devenu de plus en plus difficile en allongeant les délais et en introduisant les critères subjectifs de «communauté de vie affective » ou de « connaissance suffisante de la langue française». Cette déclaration de nationalité tend à s’apparenter à une procédure de naturalisation. Elle est en effet reçue par le ministre chargé des naturalisations. En 2005, trois textes réglementaires[1] sont venus encadrer étroitement son application. Ainsi est prévu par le décret de 1993 révisé en 2005 que le juge d’instance ou le consul évalue les conditions de communauté de vie, la connaissance de la langue française et l’assimilation à la communauté française. La circulaire du 24 février 2005 ajoute la conduite et le loyalisme. Le CESEDA complète ce dispositif, en allongeant notablement les délais.

 

II - Regroupement familial

 

Font partie de l’«immigration subie» dénoncée par le gouvernement les entrées d’étrangers par le biais du regroupement familial et le droit d’asile. L’adoption de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 a été la première occasion de le faire. Cette loi, et sous prétexte de mettre en conformité la législation interne au droit communautaire, a introduit d’importantes restrictions au regroupement familial :
- la suppression de l’accès direct à la carte de résident,
- de nouveaux critères d’appréciation des ressources,
- l’accroissement des prérogatives du maire,
- la remise en cause de l’autorisation
de regroupement familial, et
- la sanction du regroupement familial « de fait » .

 

Cependant, toutes ces restrictions n’ont pas été considérées comme suffisantes et la surenchère continue comme le test ADN aux candidats au regroupemen familial. La présentation de cette loi est, une fois de plus, l’occasion de continuer à restreindre l’exercice des droits fondamentaux, comme le regroupement familial. C’est une volonté du gouvernement. Ainsi, lors de ses voeux au gouvernement le 3 janvier 2006, le Président de la République a déclaré attacher « la plus grande importance au renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière (…), notamment en matière de regroupement familial. C'est essentiel pour notre modèle d'intégration». Quelles sont les principales modifications prévues par le CESEDA ?

 

a. Allongement du délai pour déposer une demande de regroupement familial.

 

Les étrangers relevant du régime général devront avoir séjourné régulièrement en France, sous couvert d’un titre de séjour d’un an, depuis au moins dix huit mois (au lieu d’un an). Cette disposition s’explique non seulement par la volonté d’allonger le délai d’attente pour déposer une demande de regroupement familial mais aussi par le fait que la durée de la plupart des cartes de séjour temporaires ont désormais une durée de validité de dix huit mois également. Une exception est cependant prévue : les titulaires de la carte de séjour dite « capacités et talents » pourront déposer une demande de regroupement familial au bénéfice de son conjoint et de ses enfants mineurs de dix-huit ans après six mois de résidence régulière en France. Les membres de famille auront une carte de séjour de même nature. Faut-il comprendre que ceux-ci auront une carte d’une durée de trois ans, et du coup, l’ayant obtenu plus tard, d’une durée de validité postérieure à celle du demandeur ?

 

b. Conditions de ressources et de logement plus restrictives

 

- En ce qui concerne les conditions de ressources :

1° la loi actuellement en vigueur prévoit que les ressources du demandeur « doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel ». La réforme propose que le montant de ces ressources doit être « au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel » lequel « est fixé en tenant compte du nombre de personnes composant la famille ». Cela impliquerait donc l’adoption d’un décret fixant un barème des revenus minimum à démontrer selon le nombre de personnes composant la famille.

 

  1. c. Nouvelle condition pour le regroupement familial : la condition d’intégration.

 

Une nouvelle condition s’ajouterait à celles du séjour régulier, de logement et de ressources. Il s’agit de la condition d’intégration républicaine du demandeur, appréciée, selon le projet, « au regard de son adhésion personnelle aux principes qui régissent la République française ainsi que de leur respect dans son comportement quotidien et de sa connaissance suffisante de la langue française ».

L’adhésion personnelle aux principes qui régissent la République française continue à être une notion extrêmement vague et se prêtant à des interprétations forcément diverses et divergentes. Qui aura compétence pour la vérifier ? Voit-on des enquêtes confiées aux policiers des Renseignements Généraux, comme pour les mariages, les naturalisations, etc.?

Quant au « comportement quotidien », il est fort probable qu’une enquête de police soit effectuée pour vérifier cet élément. Selon toute vraisemblance, on contrôlera le respect des obligations fiscales, s’il n’y a aucune contravention (le demandeur a ainsi intérêt à ne s’écarter d’aucune règle si minime soit-elle). Le recours aux différents fichiers deviendra la règle, tel le fichier STIC (système de traitement des informations constatées) où sont inscrites toutes les personnes qui ont eu « affaire » à la justice, même en qualité de témoin ! Et actuellement le prétendu fichier ADVIGE avorté.

La condition de « connaissance suffisante de la langue française » va exclure tous les étrangers dont un policier ou un fonctionnaire considérera qu’il ne parle pas suffisamment bien le français. Cela revient à exclure une bonne partie des étrangers non francophones.

De plus, que signifie cette notion de connaissance « suffisante » ? Enfin, la multiplication de ces critères subjectifs va obligatoirement entraîner des délais supplémentaires (bientôt deux ans pour un regroupement familial), et corrélativement une inflation inévitable de contentieux…

 

  1. d. Exclusion du droit au regroupement familial

 

Le membre de la famille qui réside déjà sur le territoire français sera exclu du droit au regroupement familial. Dans la loi actuellement en vigueur, ce membre de la famille «pourra » en être exclu (art. L. 411-6 du CESEDA).

 

  1. e. Extension des pouvoirs du maire.

 

La loi du 26 novembre 2003 avait d’ores et déjà accordé de larges pouvoirs au maire dans différentes matières concernant l’entrée et le séjour des étrangers en France, y compris en matière du regroupement familial. Le projet de loi y revient pour répondre ainsi aux demandes de nombreux édiles.

Le maire de la commune de résidence du demandeur donnait déjà un avis sur les conditions de logement et de ressources. Il donnera demain, à la demande de l’autorité administrative, un avis pour l’appréciation de la condition d’intégration. Sur quelles bases ? Le maire se livrera-t-il lui aussi une enquête afin de s’assurer que la condition éminemment subjective « intégration » est satisfaite, en plus de celle relative aux ressources et au logement ?

Cet avis sera t-il consultatif ? Quel serait le délai pour rendre cet avis ? Autant de questions laissées pour l’instant dans l’incertitude et promptes à laisser une large marge au pouvoir discrétionnaire d’appréciation des autorités intervenant dans la procédure.

 

  1. f. Remise en cause du regroupement familial

 

Selon la loi en vigueur, s’il y a rupture de la vie commune entre les époux deux ans après la délivrance du titre de séjour, celui pourra ne pas être renouvelé ou le cas échéant, retiré. Avec le CESEDA, cette possibilité de retrait ou de non renouvellement s’ouvrira s’il y a rupture de la vie commune dans les trois années suivant l’entrée en France.

 

g. Passage de la carte de séjour temporaire à la carte de résident

 

Le CESEDA prévoit que le passage de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à la carte de résident pour les membres de famille d’un étranger titulaire de la carte de résident ne pourra se faire, et sous certaines conditions, qu’après trois années de résidence régulière et ininterrompue sur le territoire français. Cela signifie-t-il que l’étranger « regroupé » ne pourra pas rentrer en vacances dans son pays d’origine pendant trois ans ? L’ensemble de ces conditions place les membres de famille sous surveillance et sous pression, faisant fi des aléas de la vie de couple. Les conjoints venus dans le cadre du regroupement familial n’acquièrent aucun droit au séjour autonome, si ce n’est au bout d’un délai de plus en plus long.

 

III – Le travail des étrangers

 

Les modifications importantes révèlent l'état d'esprit général du projet : mettre en place une immigration "choisie" en fonction des besoins de main d'œuvre en alignant la durée du séjour sur la durée du contrat de travail. Autrement dit, le CESEDA consacre l’existence de "travailleurs jetables" pour lesquels la fin de l'emploi sonne la fin du droit de séjourner. Il convient, toujours au titre de remarques d’ordre général, d’indiquer que le dispositif mis en place aura pour effet de produire de la clandestinité. Si la philosophie générale du projet est malheureusement aisément compréhensible (gradation de statuts et modulation de droits selon le statut considéré), le dispositif soulève de nombreuses interrogations sur les droits.  
En premier lieu, la réforme intègre dans le CESEDA des dispositions figurant jusqu'alors dans le seul Code du travail. A côté du fantaisiste titre «capacités et talents » (art. L. 317-1 (v. in fine), elle rassemble les statuts éclatés sous un seul et même article (art. L. 313-10).

 

Toutefois, l’article L. 313-10 presque entièrement réécrit devra se combiner avec le dispositif sur la main d’œuvre étrangère qui reste prévu par le Code du travail, ce qui n’est pas sans soulever certaines incertitudes. De plus, sa portée doit être appréciée à l’aune des réformes récentes (« contrat nouvelles embauches ») ou en cours du Code du travail, porteuses de précarisation accrue du statut du salarié, même sous contrat à durée indéterminée. La nouvelle disposition distingue, au titre du travail, 6 situations renvoyant elles-mêmes a priori à six mentions à reporter sur la carte de séjour temporaire. Seule la dernière est véritablement nouvelle (la mention « détaché interne »). Dans tous les cas, l’étranger qui sollicite la délivrance d’une CST doit être porteur d’un visa long séjour (v. L. 313-2). Cela implique un examen du dossier par les consulats. Si l’on s’en tient à la situation actuelle, les consulats devront prendre en compte un certain nombre de critères dont certains sont illicites. C’est le cas en particulier du critère de l’âge considéré comme discriminatoire au regard de nombreuses conventions internationales et de l’article L. 122-45 du code du travail. D’autres seront impossibles à contrôler pour le juge français («intérêt du pays dont il (l’étranger) a la nationalité»). Aucune motivation pour l’éventuel refus de visa n’est envisagé, même lorsqu’il y a eu autorisation préalable de la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP).

 

IV. L’éloignement

 

Le texte, dans sa version actuelle, s'infléchit dans le sens du durcicement de la « double peine ». En premier lieu en effet, disparaît la cohérence entre le fait d'obtenir de plein droit un titre de séjour et celui d'être protégé de l'éloignement concernant les personnes arrivés en France avant un certain âge. Au titre de la situation actuelle, il faut être entré en France avant l'âge de dix ans - et non plus avant l'âge de 13 ans - pour obtenir de plein droit une carte "vie privée et familiale" lorsque le jeune est arrivé en dehors du regroupement familial. Or les dispositions sur l'expulsion conservent pour l'instant la référence à l'âge de 13 ans. Autrement dit, les jeunes arrivés avant cet âge et à condition de résider depuis en France sont protégés de l'expulsion - hormis les exceptions prévues par le Code - mais ne pourraient plus obtenir un titre de séjour (dès lors qu'ils sont entrés en France en dehors de la procédure de regroupement familial alors qu'ils avaient entre 10 ans et 13 ans). Il convient ici de rappeler que dans le projet de loi Sarkozy, qui a donné lieu à la loi du 26 novembre 2003, la même incohérence existait. C’est alors au nom de la cohérence du dispositif et de l’attachement à l’âge de 13 ans pour déterminer la protection face à l’éloignement forcé (et donc sous couvert de la prétendue suppression de la « double peine ») que le texte a été rectifié dans le cadre des débats parlementaires. Ces arguments méritent ici d’être rappelés le moment venu. En second lieu, la réforme s'accompagne de modifications complémentaires de façon à aligner le dispositif sur les interdictions du territoire français (art. L 541 - 1 et suivants du CESEDA, et art. 131-30-1 et 131-30- 2 du Code pénal) au nouveau dispositif envisagé sur l'expulsion. Les conjoints de Français ne bénéficient d'une protection "quasi absolue" face à l'expulsion que s'ils sont mariés depuis au moins 4 ans (art. L .521-3). Les autres conditions exigées sont maintenues en l'état, à savoir principalement le fait de résider régulièrement en France depuis plus de 10 ans. Les mêmes conjoints de Français sont protégés, cette fois de façon relative, de l'expulsion - en ce sens que la protection tombe en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique - si le mariage date d'au moins trois ans. Il s'agit ici d'aligner ce nouveau délai sur celui requis pour obtenir une carte de résident (art. L. 521-2).



[1] Décret n°2005-25 du 14 janvier 2005 modifiant le décret n°93-1362 du 39 décembre 1993 ; circulaire DPM/SDN/N 3 n°2005-104 du 24 février 2005 ; circulaire DPM/N2/2005-358 du 27 juillet 2005.

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