Que coûte d'intervenir lors d'une reconduite aux frontières ? (LeMonde.fr)

Publié le par MASHIMANGO

André Barthélemy, président de l'ONG Agir ensemble pour les droits de l'homme et membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), comparaissait, jeudi 19 février, devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Il est poursuivi pour 'incitation à la rébellion' et 'entrave à la circulation d'un aéronef' pour s'être interposé pendant l'expulsion de deux personnes en avril 2008.

Selon le communiqué d'AEDH, les deux hommes, d'origine congolaise, étaient 'menottés et encadrés par huit policiers' de la police aux frontières (PAF) sur un vol Paris-Brazzaville. M. Barthélemy et plusieurs autres passagers auraient été débarqués manu militari pour s'être confrontés aux forces de l'ordre, les deux expulsés s'étant plaints de mauvais traitements. Après une garde à vue 'd'une dizaine d'heures', il est libéré, puis informé qu'il devra comparaître devant la justice.

C'est chose faite jeudi. Devant les juges du tribunal, M. Barthélémy, 72 ans, explique que son geste n'avait pas pour but d''entraver la reconduite' d'une personne à la frontière mais uniquement d''exprimer son indignation' face aux conditions de détention des Congolais. La police l'accuse d'avoir crié 'c'est inadmissible, une honte', 'vous ne respectez pas les droits de l'homme' et d'avoir incité les passagers à la révolte. Le procureur a requis trois mois avec sursis, une peine relativement élevée dans ce genre d'affaire. La défense, elle, a plaidé la dispense de peine.

Le comparution en justice d'André Barthélemy n'est pas un cas isolé. En décembre, Le Monde révélait l'interpellation de trois philosophes sur le vol Kinshasa-Paris d'Air France pour des faits similaires. Le 16 décembre, Pierre Lauret, directeur de programme au collège international de philosophie, était débarqué du vol aller pour avoir posé trop de questions aux policiers de la PAF. Le 22 décembre, lors du vol retour, c'est au tour de ses collègues Sophie Foch-Rémusat et Yves Cusse de se voir arrêtés à leur arrivée à Roissy. M. Lauret doit comparaître le 4 mars pour 'opposition à une mesure de reconduite à la frontière et entrave à la circulation d'un aéronef'.


'RÉACTIONS DE SOLIDARITÉ OU D'INDIGNATION'


Que coûte l'intervention lors d'une expulsion ou une reconduite aux frontières ? Pour le délit d'incitation à la rébellion, l'accusé risque au maximum deux mois de prison et 7 500 euros d'amende. Pour le chef d'accusation d'inciter à faire débarquer une escorte policière ainsi que l'étranger reconduit hors des frontières françaises, il encoure cinq ans et 18 000 euros d'amende. Ces peines maximales sont détaillées dans une notice d'information distribuée systématiquement depuis 2007 à tout passager qui monte dans un avion servant à une expulsion.


En réalité, une telle sanction est rarement prononcée. La plupart des personnes reconnues coupables s'en sortent avec une condamnation avec sursis, un paiement symbolique ou simplement une relaxe. Reste que ces 'réactions de solidarité ou d'indignation parmi des passagers', selon les termes d'Amnesty International, sont de plus en plus communes, alors même que les chiffres réels de reconduites à la frontière sont en baisse. Selon le rapport du comité interministériel de contrôle de l'immigration, les arrêtés de reconduite à la frontière et obligation de quitter le territoire ont augmenté (64 609 à 97 034 entre 2006 et 2007), mais les reconduites réelles ont chuté (16 616 contre 13 707).


'Les affaires liées à des protestations sur les conditions d'expulsion en avion d'étrangers refoulés du territoire se multiplient', constatait déjà le Gisti en 2004, dans un texte intitulé 'Délit de solidarité'. L'association notait que ce genre d'incrimination découlait indirectement d'une directive datant de 1945 et visant l'individu qui aura 'facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger'. Ces poursuites contre des particuliers 'peuvent détourner l'attention qui devrait être portée aux actes de violences commis par des policiers', met en garde Amnesty. Surtout, elles peuvent 'être utilisées pour dissuader les témoins de porter plainte' contre les policiers.


Pour en savoir plus [lisez]:

- Le guide pratique d'intervention dans les aéroports par le Collectif anti-expulsions d'Ile-de-France.

- La notice de la PAF récupérée par la CGT de Roissy.

- La Pétition pour la fin des poursuites contre André Barthélemy.

- Le Blog de soutien aux trois philosophes interpellés en décembre.

- L'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'aide au séjour irrégulier en France.

'Délit de Solidarité', par Violaine Carrère et Véronique Baudet sur le site du Gisti.

Publié dans Les Hommes

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