Transnationalisme ethnique, Etats et conflits armés. Approches sociopolitiques de la bellicité dans la Corne de l’Afrique : 1961 – 2006

Publié le par MASHIMANGO

                                               

Ecole Doctorale de Droit

Centre Lyonnais d’Etudes de Sécurité Internationale et de Défense

 

RAPPORT DE SOUTENANCE DE THESE DE DOCTORAT

 

Sujet de thèse 

 

Transnationalisme ethnique, états et conflits armés

Approches sociopolitiques de la bellicité dans la Corne de l’Afrique : 1961 – 2006

 

Présentée et soutenue publiquement à Lyon,  le 14 décembre 2010 à 14H30

Par : Monsieur Abou-Bakr Abélard MASHIMANGO

 

 

L’an 2010, quatorzième jour du mois de décembre, Monsieur Abou-Bakr Abélard MASHIMANGO présente et soutient publiquement, dans les locaux de l’Université Jean Moulin Lyon 3, Amphithéâtre Huvelin, sa thèse de doctorat en Sciences politiques devant un jury composé de :

1.      Jean-Paul JOUBERT, Professeur de Sciences Politiques, Directeur du Centre Lyonnais d’Etudes de Sécurité Internationale et de Défense, Université Jean Moulin Lyon 3, Président du Jury.

2.      Monsieur David CUMIN, Maître de conférences habilité à diriger les recherches, Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur de thèse

3.      Monsieur Julian FERNANDEZ, Professeur de Droit Public, Université Lille 2

4.      Monsieur Pascal HINTERMEYER, Professeur de Sociologie, Directeur du laboratoire Cultures et Sociétés en Europe, Maison interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace (Misha), Université de Strasbourg.

La séance est ouverte à 15h00 sous la présidence du Professeur Jean Paul JOUBERT. Celui-ci  présente les membres du Jury, excuse Monsieur MARTIN pour son absence[1] et accorde la parole à Monsieur MASHIMANGO.

Monsieur MASHIMANGO présente très clairement les grandes lignes de sa thèse. Il rappelle la problématique de sa recherche, le cadre d’analyse, les contraintes, les enjeux scientifiques de son étude et les principales conclusions, que sont les apports et les perspectives que sa thèse permet de dégager.

Dans ses propos liminaires, Monsieur MASHIMANGO souligne l’intérêt et les motivations de son sujet et de l’espace concerné : ramener la variable identitaire sous les rubriques fondamentales d’études de sécurité et de défense pour saisir les spécificités des conflits armés, en s’appuyant sur une analyse sociopolitique de la bellicité dans la Corne de l’Afrique. Comme la région des Grands Lacs, la Corne de l’Afrique reste une région instable, un champ de bataille, un théâtre de nombreux conflits transnationaux où se combinent les renversements d’alliances stratégiques et des volte-face diplomatiques qui confirment la thèse de « transformations de la guerre ». Selon Monsieur MASHIMANGO, cette région constitue donc un champ de recherche pour le développement des connaissances sur la bellicité, tant en ce qui concerne l’étude et la recherche sur les conflits armés (la polémologie) qu’en théories et pratiques de la paix (irénologie ou « peace research »). Elle suscite une curiosité particulière pour comprendre les aléas des antagonismes liés à la construction de l’Etat en Afrique.

 

Le cadre qui intéresse Monsieur MASHIMANGO est de déceler les causes profondes de la bellicité, les éléments catalyseurs, les facteurs et les acteurs déterminants et les formes que peuvent prendre les affrontements ; penser comment se configurent et se reconfigurent les relations internationales africaines particulièrement depuis la fin de la guerre froide ; repenser les grilles de lecture essentielles à la réflexion qui s’impose en vue de l’élaboration de politiques de sécurité et de défense pertinentes, en prenant en considération des solidarités et des relations autres qu’étatiques dans l’analyse des conflits armés. Il définit sa thèse comme une étude des conditions méthodologiques et théoriques de l’étude de la bellicité. Autrement dit, l’étude des phénomènes des guerres contemporaines au travers d’une analyse fondée sur une approche transversale et une culture interdisciplinaire qui permettent, à la fois, l’examen exploratoire et le discernement des évolutions des formes de conflits.

Après avoir souligné l’articulation entre le national, l’international et le transnational, ainsi que le lien entre les différents niveaux d’analyse, Monsieur MASHIMANGO considère que l’étude de la guerre ne doit plus se faire sans aborder des questions sociopolitiques, notamment le rôle des idées, les régimes politiques, les transformations sociales locales, nationales et internationales. Il considère également que l’analyse des conflits armés doit intégrer une multitude d’acteurs qui apparaissent, changent d’aspect, disparaissent et réapparaissent, parce que les belligérants prennent une orientation différente selon les codes de légitimité.

La question centrale à laquelle le candidat tente de répondre est celle de savoir dans quelles circonstances la  volonté de l’autonomie identitaire ou culturelle autorise de revendiquer l’indépendance étatique, sachant que toutes les nationalités ne peuvent s’ériger en Etat-nation ; c’est-à-dire, un groupe qui se veut porteur d’un Etat et sujet autonome sur la scène internationale. La problématique ainsi soulevée et l’interdépendance de ses aspects amène Monsieur MASHIMANGO à s’interroger :

-         Comment les identités sont-elles définies par rapport à l'Etat?

-         Comment une communauté identitaire locale acquiert-elle un caractère national?

-         Quelle est l'influence des facteurs identitaires dans la détermination de la menace et des réponses appropriées en matière de sécurité internationale et de défense?

-         Suffirait-il de considérer les seuls « éléments rationnels » pour dessiner une esquisse des relations internationales africaines?

   

Pour y répondre, Monsieur MASHIMNGO, propose deux analyses : l’analyse polémologique (pour tracer l’évolution des conflits interétatiques et esquisser la transnationalité des guerres civiles) et la lecture géopolitique (pour déterminer les facteurs et les acteurs de la bellicité et définir les typologies des conflits armés). Selon, le candidat, ces deux analyses sont séparées l’une de l’autre, mais ils se retrouvent toujours dans un champ plus vaste d’explication et de compréhension de la bellicité. Analytique au départ, Monsieur MASHIMANGO formule une série des notions théoriques et oriente sa recherche vers l’empirisme, en mettant un accent particulier à l’évolution, la transformation et le prolongement des conflits armés qui, de 1961 à nos jours, sévissent dans la Corne de l’Afrique. Sa démarche consiste à faire une analyse de la bellicité comme « chaos géométrique » et à chercher des réponses dans la dynamique transnationaliste. Il propose ainsi trois pistes de réflexion : D’abord, il faut éviter les généralisations abusives en abordant la bellicité non pas comme un phénomène particulier, propre à l’Afrique, mais comme une des principales activités publiques internationales. Ensuite, il faut traiter la bellicité telle qu’elle se présente à partir des concepts communs de la sociologie politique : ethnie, ethnicité, nation, nationalisme, transnationalisme, Etat, nation-Etat, Etat-nation, guerre ou conflits armés. Enfin, il faut sortir du dilemme « universalisme et spécificité africaine ».

Tant au niveau des sources utilisées que de la méthodologie et des points développés, Monsieur MASHIMANGO articule sa recherche sur quatre axes d’analyse : la transnationalité de l’influence ethno-identitaire, la recomposition de l’ordre régional due à la variabilité des alliances, la crise de systèmes politiques due à l’échec de l’extrapolation de l’idéologie étatique nationale ou de l’« occidentalisation forcée », et l’évolution, la transformation et le prolongement de la bellicité. Il présente sa thèse comme une construction analytique susceptible d’être utilisée, sous réserve de compléments conceptuels, comme outils de théorisation de la bellicité qui explorent les aspects polémologiques et géopolitiques des conflits armés internes et internationaux. Le but étant d’élucider les causes endogènes (la faillite politique, économique et sécuritaire des Etats)et exogènes (le jeu des puissances internes et externes au continent) de la bellicité, en essayant d’introduire les nouveaux items d’analyse factorielle qui s'ajoutent aux concepts classiques, comme les revendications territoriales, les querelles de légitimité, l’émancipation, les uchronies et autres outils d'analyse comme le panisme, l’irrédentisme, le séparatisme, le terrorisme, l’ethnicité et le transnationalisme.

Monsieur MASHIMANGO finit sa présentation en reconnaissant que l’élargissement des concepts présente des limites et, de ce fait, la production d’une réflexion objective sur les conflits armés africains n’est pas facile en raison de l’existence de plusieurs obstacles, notamment les moyens matériels et financiers limités ; la faiblesse, voire l’inexistence, de schémas théoriques élaborés localement ; et la rareté des travaux nouveaux sur le sujet pour ce qui concerne les pays situés dans la Corne de l’Afrique. D’où des insuffisances. Mais, parce qu’une thèse est également le prélude de travaux à venir, Monsieur MASHIMANGO trouve dans sa thèse la voie à des nouvelles recherches.

 

Monsieur David CUMIN, Directeur de Thèse

Dans son intervention, Monsieur CUMIN, exprime sa satisfaction de voir les efforts de recherche de Monsieur MASHIMANGO se concrétiser par cette thèse, fruit d’un travail innovant et considérable dont le suivi fut un enrichissement permanent. D’autant plus que la thèse de Monsieur MASHIMANGO a respecté les délais de 4 ans, parfaitement conformes aux normes universitaires : une thèse francophone, mais pas seulement , plusieurs références anglaises, 2 parties, titres, chapitres, sections et paragraphes ; une thèse bien étoffée, bien présentée, finie, 480 pages, 600 notes de bas de pages, diverses sources (des documents, des articles, des sites Internet, une bibliographie qui nécessite d’être complétée et dont la nomenclature mérite d’être améliorée.). On y trouve les éléments pour analyser les conflits armés, non seulement dans la Corne de l’Afrique, mais des notions qui pourraient être transposées sur d’autres conflits armés. C’est une théorisation générale de la bellicicité qui s’articule sur quatre grandes approches : la perspective transnationaliste, la théorie de l’ethnicité, l’approche polémologique et la lecture géopolitique.

Monsieur CUMIN souligne cependant que cette multiplicité de connaissances théoriques et méthodologiques rend sa thèse moins lisible et moins compréhensible pour un lecteur profane. Pour Monsieur CUMIN, on peut donc reprocher à Monsieur MASHIMANGO d’avoir utilisé trop d’approches et, de ce fait, considérer, son travail comme trop éclaté. Mais  l’avantage est que, en faisant le choix de la pluridisciplinarité, Monsieur MASHIMANGO contribue à la réflexion sur les conflits armés dans la Corne de l’Afrique, fait preuve de maîtrise des connaissances théoriques et méthodologiques qu’il applique à l’analyse empirique. Pour la rigueur et l’innovation placées dans l’approche pluridisciplinaire, pour la connaissance du terrain et de la situation dans la Corne de l’Afrique depuis quatre décennies, Monsieur CUMIN considère la thèse de Monsieur MASHIMANGO comme un enrichissement scientifique. Elle reflète la capacité de son auteur à s’adapter très rapidement à un contexte de savoirs en évolution permanente dans lequel aucune certitude n’est acquise, et pour lequel seule une approche multidisciplinaire permet de faire avancer la connaissance et le questionnement de façon décisive. Mais Monsieur CUMIN aimerait que Monsieur MASHIMANGO approfondisse la conceptualisation de la « bellicité » ; un concept qui devrait être creusé et développé davantage en droit internationale. Il est utile et indispensable.

Monsieur CUMIN reconnaît en Monsieur MASHIMANGO des capacités à devenir un chercheur de qualité qui veut toujours explorer, comprendre, partager et avancer. En tant que directeur de thèse, il exprime sa satisfaction. Monsieur MASHIMANGO a un  itinéraire particulier, une expérience pas seulement pédagogique, mais également professionnelle et pratique particulières. Monsieur CUMIN présente Monsieur MASHIMANGO comme un doctorant idéal, actif, incontestablement autonome qui, depuis le Master 2 Recherche, a fait preuve de maturité et d’autonomie. Ce qui est un atout pour un futur chercheur ou un futur enseignant.

 

Réponse de Monsieur MASHIMANGO

L’Utilisation du concept « bellicité » part du constat que les conflits armés de la Corne de l’Afrique ne sont qu’une expression violente d’un « chaos géométrique », autrement dit une situation conflictuelle avant, pendant et après le déclenchement des hostilités, de l’affrontement guerrière ou militaire. Monsieur MASHIMANGO considère que ce « chaos géométrique » s’inscrit dans l’ordre et le désordre du monde qui, multicentré, est devenu comme une toile d’araignée superposées les unes aux autres avec des fils convergents davantage et concentrés en certains points que d’autres. De l’analyse historique, polémologique et géopolitique à l’approche descriptive, relationnelle et causale, les approches sociopolitiques de la bellicité sont propices à l’introduction de nouveaux thèmes dans le programme de recherche sur les mobiles des conflits. Elles permettent d’étudier l’escalade du conflit en passant en revue les faits politico-historiques afin d’établir leurs rapports avec les enjeux et les acteurs concernés ; comprendre les paramètres internes et externes du conflit, la composition des variables, ainsi que la détermination des forces d’attraction qui conduisent à la guerre. Ce qui implique un regard rigoureux sur les réalités polémologiques tant au niveau micro des acteurs qu’au niveau macro des ensembles qu’ils composent – « structures » et « systèmes » – et de fixer les paradigmes et cadres d’analyses afin de comprendre comment les rapports de domination ou de cohésion qui engendrent les rapports sociaux croyant reposer sur l’origine commune et qui font de cette croyance le fondement même de leur alliance et/ou de leur divergence influent sur la sécurité internationale et défense.

Revenant à la question de la conceptualisation de la bellicité, Monsieur MASHIMANGO montre que ce concept permet à réfléchir à la fluidité des frontières entre guerre et paix, et aborder le postconflit non comme une phase de paix institutionnalisée, « normalisée », mais comme processus sociopolitique sinueux et au long cours, pouvant comporter autant d’avancées que de retours en arrière, voir basculer à nouveau dans la violence. Une étincelle suffit à raviver le feu des armes et à mettre fin à la trêve relative comme le montre à suffisance la crise actuelle de la Cote d’ivoire.

 

Lecture du rapport du Professeur Louis-Michel MARTIN par le Professeur Jean-Paul JOUBERT (cf. document en annexe)

 

Réponse de Monsieur MASHIMANGO

Examinant les conflits armés de la Corne de l’Afrique, on constante qu’ils ressortent de la « polarisation duelle », c’est-à-dire dans la capacité de désigner l’ennemi, de déterminer les menaces et de faire régner la peur et l’anxiété. C’est ce que soulignent d’ailleurs Carl Schmitt lorsqu’il parle de la capacité de provoquer un regroupement effectif des hommes en amis et ennemis (p.117) et Max Weber quand il insiste sur l’importance de l’ennemi dans la construction de la cohésion de la collectivité et l’affirmation de l’Etat (p. 145). Or, selon John Warden, l’ennemi est un système. Ce système est décomposé en cinq éléments ou centres de gravité imbriqués les uns des autres et qui incarnent chacun les différents niveaux d’engagement et de vulnérabilité propres aux acteurs étatiques et non étatiques, selon les circonstances, l’intensité, les enjeux, la typologie et la nature du conflit. Mais comme mentionné à la page 459 de la thèse, cette théorie semble perdre sa pertinence avec la montée en puissance des guerres asymétriques transnationales. De ce fait, la théorie de Warden, aussitôt développée, n’est pas adaptée dans les Etats non industrialisés, voire à des « non –Etats » ou organisations terroristes.

Les tendances lourdes du transnationalisme en tant qu’approche sont de transcender la conception de l’Etat-nation, dépasser la conception réaliste qui considère l’intérêt national comme la seule activité rationnelle de la sécurité internationale et de défense, et appréhender la bellicité dans une perspective pluraliste qui l’analyse sous l’angle d’un processus d’ajustement permanent entre pressions internes et contraintes externes. Tant pour son regard qui cherche de remonter des effets de surface aux causes profondes, mais encore pour sa construction d’ensemble qu’il développe, James Rosenau reste une des références éminentes. L’usage sélectif de Rosenau se justifie donc par la volonté de souligner le changement radical du monde quand bien même le système interétatique établi depuis le traité de Westphalie garantirait une certaine continuité des affaires mondiales. C’est également une façon de souligner avec insistance l’incertitude et la rapidité des changements et du chaos qui caractérisent le système monde depuis les années 1950, notamment par le développement des « interdépendances complexes », par la prolifération des acteurs hors souveraineté, l’alternance des identités sous les effets contradictoires de la centralisation et de la fragmentation et, plus encore, par la réorientation des liens d’autorité et de loyautés qui attachent les individus. Une manière donc de mentionner le caractère durable des turbulences qui mettent en compétition deux mondes – le monde multicentré et le monde étatique – qui s’influencent réciproquement sans jamais pouvoir véritablement se réconcilier.

Monsieur MASHIMANGO souligne en outre que l’objet de sa thèse n’est pas, par l’analyse des conflits de la corne de l’Afrique, de confirmer ou d’infirmer l’une ou l’autre de ces théories mais plutôt de montrer comment ces outils aident à mieux comprendre un conflit, sans pour autant privilégier l’un ou l’autre de ses aspects. En reconnaissant l’importance des acteurs autres qu’étatiques dans les relations internationales et les interdépendances complexes entre acteurs pluriels, James Rosenau, comme d’ailleurs Bary Buzan (Ecole de Copenhague), Bertrand Badie, Robert Nye, Marie Claude Smouts, Joseph Keohane… sont, selon Monsieur MASHIMANGO, les auteurs qui, par leur analyse, lient la propension des mouvements sociaux à porter leur action sur la scène internationale et transnationale à une manifestation concrète de l’effritement ou de la « détérioration » de l’autorité de l’État-nation.

Monsieur MASHIMANGO reconnaît dans l’expérience européenne au 16ème et 17ème siècle une matière première permettant à comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique. Mais comme les crises que traverse l’Afrique ne sont pas une « rétribalisation » de la société ni un retour au passé (p. 47), Monsieur MASHIMANGO affirme avoir opté de ne pas expliquer la bellicité dans la Corne de l’Afrique simplement à partir du passé des pays européens, quand bien une exploration réfléchie de l’expérience européenne serait utile dans la démonstration que l’exploitation coercitive joue un grand rôle dans la création de l’Etat. Selon Monsieur MASHIMANGO, la bellicité en Afrique, comme toute autre question de sécurité internationale d’ailleurs, peut être analysée au travers le dilemme de sécurité. En fait, c’est la diversité des projets étatiques, leur opposition, qui constituent d’une manière ou d’une autre la source de conflits car, dans leur recherche incessante d’une sécurité accrue et dans la poursuite de la défense de leurs intérêts aussi bien politiques qu’économiques, les États exacerbent l’insécurité et la riposte militaire des voisins. Aussi faut-il admettre que l’Afrique d’aujourd’hui ne ressemble guère à l’Europe du 16ème ou de 17ème siècle. En effet, « même si nous pensons légitime d’accréditer la thèse selon laquelle le modèle de l’Etat-nation est une création spécifique de l’Europe occidentale, nous croyons également logique de penser, dans le même esprit, que de vieilles civilisations situées hors du champ historique et culturel de l’Occident avaient inventé leur propre modèle d’organisation administrative, différent de celui de l’Etat-nation », postule Monsieur MASHIMANGO avant d’affirmer : « il a bel et bien existé un modèle de construction politique en Afrique, lequel modèle possède ses propres représentations d’une part, et peut constituer une alternative théorique et politique au modèle de l’Etat-nation, d’autre part. Tel est le cas d’ailleurs du royaume d’Axoum en Abyssinie ». De ce postulat, Monsieur MASHIMANGO déduit que le concept de l’Etat défini comme organisation du politique à l’échelle de la société globale, telle qu’elle est construite par les peuples et les citoyens à un moment historique donné de leur évolution, pour faire face aux enjeux et défis qui pèsent sur leur destin commun, ne peut être réduit à un modèle unique, fût-il celui de l’Etat-nation occidentale. Selon Monsieur MASHIMANGO, la réflexion développée dans sa thèse insiste sur l’interdépendance entre la guerre et la construction de l’Etat (p. 48-49, p. 144, p. 438) ainsi que sur l’analogie entre ces deux processus. D’ailleurs, partant de l’exemple particulier de l’Erythrée et de la Somalie, son affirmation est que la guerre fait et défait les Etats.

Même si Mary Kaldor est absent dans sa thèse, Monsieur MASHIMANGO considère que les guerres nouvelles ou les guerres de 4ème génération correspondent à la révolution technologique et de l’information diffuse évoquée à la page 414 et suivants en tant que l’un des facteurs transnationaux des conflits armés qui mobilisent des populations entières en un antagonisme qui gagnerait tous les domaines (politiques, économiques et sociaux) et dont l’objet est le système mental et organisationnel de l’adversaire.

 

Professeur INTERMEYER

Le président donne alors la parole à Pascal Hintermeyer, professeur à l’université de Strasbourg, qui félicite M. Mashimango pour cette thèse dans l’ensemble bien écrite et construite selon un plan méthodiquement suivi ménageant les transitions qui conviennent à la succession des différents aspects du développement. Elle témoigne d’une culture pluridisciplinaire étendue et s’appuie sur une documentation abondante et appropriée, issue de recherches francophones et anglophones. Elle présente et confronte les arguments adaptés au sujet, en les illustrant par des exemples souvent bien choisis. Elle identifie les théories et les paradigmes disponibles en évaluant leur pertinence pour rendre compte d’une situation souvent confuse qui comporte de multiples implications que M. Mashimango s’efforce de clarifier en distinguant entre les différents niveaux d’analyse. Pour illustrer son propos, il présente des figures et cartes qui devraient comporter davantage d’indications sur leur auteur et la manière dont elles ont été élaborées. Lorsque des citations issues d’ouvrages en anglais sont traduites, il conviendrait de préciser par qui. Là où M. Mashimango s’en est lui-même chargé, il conviendrait d’éviter certains anglicismes (comme au début de la page 146).

Sur un sujet difficile à cerner, l’approche de M. Mashimango se caractérise par un appréciable sens de la complexité. Pour démêler l’enchevêtrement des logiques belligènes, il recourt à une approche polémologique globale qui envisage les conflits dans leurs rapports avec les sociétés qui les mènent. Or celles-ci, dans cette région du monde, sont traversées par de multiples contentieux qui donnent lieu à une conflictualité diffuse et à des affrontements à différentes échelles. Monsieur Mashimango tente de saisir ces logiques polémogènes à leurs divers niveaux. À la suite de la plupart des auteurs qui traitent de ces questions, il remarque que les combats n’opposent pas seulement des États, ce qui le conduit à critiquer l’approche réaliste. Il tient compte également du poids du passé et notamment des conséquences et des cicatrices de la colonisation. Il illustre ainsi la fécondité des analyses polémologiques en terme de continuum conflictuel. La perspective qu’il préconise vise à se démarquer de tout essentialisme pour s’intéresser à la manière dont se sont constituées les oppositions observables. Il tient compte des guerres qui se situent en deçà et au-delà de la nation, en questionnant aussi les limites de cette dernière catégorie dans le contexte africain et en attirant l’attention sur l’importance des références transnationales. Cette réflexion le conduit à relativiser la pertinence de distinctions que la pensée politique a établies à partir d’exemples issus d’autres continents, notamment la séparation courante entre politique intérieure et extérieure. La thèse de M. Mashimango comporte ainsi des enjeux épistémologiques majeurs. L’approche polémologique pourrait d’ailleurs être prolongée en considérant les différents aspects de ces sociétés affectées par les guerres, leurs caractéristiques démographiques liées aux attitudes par rapport à la vie et à la mort. Cela pourrait conduire à des interrogations sur les signes de l’agressivité collective, sur les facteurs qui la stimulent ou l’apaisent. Il s’agirait alors de comprendre comment les guerres transforment ces sociétés en y diffusant des innovations techniques, culturelles et sociales. La présentation de M. Mashimango nous montre que les guerres dont il est ici question n’absorbent pas toutes les ressources des protagonistes. D’où l’intérêt de préciser, lorsque la bellicité est endémique, qui est concerné et épargné, ce qui reste à l’écart des conflits et quelles valeurs sont impliquées dans les combats.

M. Hintermeyer évoque alors des critiques dont la prise en compte permettrait d’améliorer l’ensemble. Certaines formulations paraissent ainsi outrancières, par exemple au début de la p. 164 : « L’histoire, la géographie politique, l’économie et l’éducation, y compris la culture, restent les chasses gardées de l’État et du pouvoir politique qui les manipulent à volonté. » Il conseille de revoir de tels passages, de même que le jugement selon lequel « la moitié des dirigeants africains sont militaires et, de ce fait, tyranniques » (p.129), ce dernier terme ayant dans la pensée politique depuis l’Antiquité des significations précises qui ne sont pas envisagées ici. L’opinion selon laquelle la demande de modification de frontière « constitue un acte autodestructeur pour l’Erythrée » devrait aussi être tempérée par l’observation que bien des États peuvent se réclamer de principes dont ils n’hésitent pas à s’exempter à l’occasion.

Surtout, M. Hintermeyer a regretté le décalage entre d’une part les réflexions et commentaires qui constituent l’essentiel de la thèse et d’autre part l’exposé des faits, curieusement placé en ouverture, avant même le sommaire et l’introduction générale. Cette « brève présentation chronologique des pays de la Corne de l’Afrique », de même que les fiches présentées en annexe 3, s’effectuent de plus pays par pays, ce qui contraste avec l’approche retenue dans l’ensemble de la thèse. Même si la note de la page 21 précise que « le choix des événements est subjectif », certains d’entre eux, comme l’interdiction de l’excision en Erythrée, suggèrent des questions qui ne sont pas évoquées par la suite. Le hiatus entre les interprétations et les événements conduit aussi à ne pas insister sur des épisodes qui sont liés aux relations internationales et qui ont eu des conséquences majeures sur les conflits régionaux, par exemple la position adoptée par l’ONU au début des années 1950, l’implication soviétique au milieu des années 1970 (et ce qu’il peut en rester à l’époque postcommuniste) ou les tentatives pour renforcer l’influence américaine. La présentation des événements pays par pays peut de plus induire une essentialisation que l’ensemble de la thèse récuse tout en y succombant parfois (« se battre et mourir pour l’État constitue en Éthiopie une tendance irrésistible », p. 382).

Malgré ces critiques ponctuelles, M. Hintermeyer considère que la thèse de M. Mashimango présente une réflexion ordonnée et cohérente d’envergure appréciable. Elle comporte aussi des suggestions que l’auteur formule rapidement et qu’il pourrait développer ultérieurement. Plusieurs d’entre elles concernent des aspects anthropologiques comme les significations rituelles de la guerre (p. 328), la relation entre les guerres et l’honneur (p. 255 et 332), « la dimension sacrificielle des stratégies » (p. 71). « Le statut onirique du lien social » est aussi une hypothèse, inspirée par Bouthoul et qui mériterait d’être précisée. L’idée selon laquelle l’analyse de la bellicité ne doit plus ignorer l’imaginaire collectif (p. 403) semble également pertinente et pourrait notamment se recommander de l’approche proposée par Castoriadis dans L’institution imaginaire de la société.

L’intérêt des questions soulevées par M. Mashimango, l’importance des enjeux qu’il analyse, l’ampleur des connaissances qu’il mobilise, la fécondité des propositions qu’il élabore, les implications épistémologiques de son approche, l’ouverture pluridisciplinaire de sa réflexion, jointes aux qualités d’exposition et d’argumentation de sa thèse, conduisent M. Hintermeyer à rendre une nouvelle fois hommage au travail accompli.

 

Réponses de Monsieur MASHIMANGO

Reconnaissant l’existence de « L’Afrique une et plurielle » ou ce que Christian Coulon et Denis-Constant Martin appellent « plusieurs Afriques », il était impératif de prendre en compte des nuances entre pays ou même choisir entre études de cas et études de plusieurs cas pour valider les hypothèses préalables sur la démarche adoptée. Selon Monsieur MASHIMANGO, le but de son travail est donc d’analyser la configuration politico-sociale, non seulement en termes de « structures » et « systèmes », mais également dans le sens indiqué par Norbert Elias, c’est-à-dire sous la forme de la « la figure globale et toujours changeante que forment les joueurs » (La Dynamique de l’Occident, Calmann-Lévy, 1975, p. 157). C’est la lecture de Maurice Halbwachs (La Morphologie Sociale, Armand Colin, 1938, p. 41) qui m’a conforté dans cette posture. Selon celui-ci : « on peut avoir des institutions qu’une vue abstraite si l’on n’aperçoit les groupes humains qui en assurent le fonctionnement ». Cette affirmation est étayée par Luc Sindjoun qui considère qu’« il n’est point de connaissance possible des relations sociales sous quelque forme que ce soit sans analyse de sa configuration » (Sociologie des relations internationales africaines, Karthala, 2002, p. 37). Cette démarche n’est certes pas sans conséquences comme en témoigne la pertinence des remarques du Pr. Hintermeyer, approuve Monsieur MASHIMANGO : « elle induit une essentialisation que, pourtant, je récuse dans ma thèse ». Néanmoins, afin d’avoir une vision sur les facteurs et les acteurs de la bellicité dans la Corne de l’Afrique, sous forme de ce que l’on peut qualifier, si l’on emprunte le langage mathématique, « les parties complémentaires d’un ensemble » et en vue de déterminer, dans une perspective conflictuelle, l’interaction entre les phénomènes hétérogènes, Monsieur MASHIMANGO estime que ce risque méritait d’être pris.

Quant à la non insistance sur les épisodes liés aux relations internationales, notamment la position de l’ONU en 1950 et des grandes puissances, ainsi que l’implication de l’ex-URSS en 1970, Monsieur MASHIMANGO reconnaît que le rôle de l’URSS, des EUA, de l’ONU et des puissances coloniales, reste capital et il était important d’y consacrer un développement conséquent. Non seulement la position de l’ONU et des puissances coloniales en début des années 1950 a laissé en friches certaines questions, notamment celle de l’indépendance de l’Erythrée et de la région de l’Ogaden disputée entre la Somalie et l’Ethiopie, mais également l’implication de l’URSS au milieu des années 1970, a eu des conséquences majeures sur les conflits de la Corne de l’Afrique. Et aujourd’hui les effets de jeu de puissance sont encore présents sur le continent : on observe d’un côté les puissances qui veulent maintenir leur statut de puissances coloniales et de l’autre, celles qui par puissances interposées apportent leur soutien à des régimes contestés ou aux mouvements de rébellion, procédant même à la déstabilisation des pays à richesses convoitées ou à position géostratégique qui leur résistent.

Mais comme son regard est fixé sur les motifs immédiats de la guerre, le choix de Monsieur MASHIMANGO est de procéder en l’analyse sociopolitique qui, au travers des théories des relations internationales, cherche à comprendre les causes objectives et subjectives des attitudes conflictuelles, les lignes de clivage et les phénomènes qui structurent la bellicité et les choix des acteurs dans les polarisations antagonistes. Ceci pour éviter de me disperser dans ma construction, de rester concentrer sur la problématique et aux hypothèses que j’avais à vérifier et en vue de respecter mon schéma méthodique.

La signification rituelle de la guerre peut être esquissée au travers des concepts « communalisation » (relations sociales fondées sur le sentiment subjectif d’appartenance à une communauté) et « sociation »  (relations sociales basées sur le compromis d’intérêt) développés par Emile Durkheim dans une perspective fonctionnaliste qui voit dans tout social une dimension normative intrinsèque. Les communautés politiques, dans leurs diverses formes (tribales, claniques, ethniques, nationales, etc.) entretiennent entre elles de rapports variés, influencés par des conditionnements historiques et culturels, les « attributs sacrés ».

 

Au niveau conceptuel, Monsieur MASHIMANGO souligne que l’histoire des nations est une fluctuation permanente entre le souvenir et l’oubli. Le souvenir sert de stimulant à la résurgence identitaire et permet à brandir les cartes d’une « grande nation ». En conséquence, loin d’être des querelles frontalières (Ethiopie-Erythrée, Somalie-Ethiopie, Erythrée-Djibouti), les conflits de la Corne de l’Afrique sont des « guerres de mémoires nationales », construites par des discours mythologiques et des pratiques rituelles.

Pour l’Erythrée, par exemple, la guerre est un moyen de mettre définitivement fin à la tutelle de l’Ethiopie et, par là même, établir son hégémonie sur la région entière. Mais on peut également se poser la question de savoir si l’Ethiopie a renoncé à sont statut de puissance sous-régionale.  De ces questionnements, on peut déduire que la question de l’honneur de la guerre est à retrouver dans le vieux rêve d’une « Grande Ethiopie » affirmé par Alain Gascon dans Herodote (n° 106, p. 44), d’un « Grand Erythrée » ou par le « pansomalisme ».

Le statut onirique du lien social se retrouve dans la pensée aronienne lorsqu’il dit : « L’homme n’est homme qu’avec d’autres hommes, non pas seulement à l’intérieur de la famille, (…), mais sur la place publique ou le champ de bataille discutant ou combattant avec d’autres hommes afin de déterminer le mode vrai de l’existence commune ». Selon Monsieur MASHIMANGO, l’homme a besoin des autres pour son estime, pour atteindre un rang plus élevé et être reconnu.

 

Pour le Professeur INTERMEYER, il y a un aspect non évoqué : celui de rêve. Le Professeur s’interroge sur la place du lien onirique dans les liens sociaux. Néanmoins, on peut trouver un lien entre l’interprétation de Monsieur MASHIMANGO et l’analyse de Gaston Bouthoul dans son ouvrage « l’Invention ».

La dimension sacrificielle quant à elle a trouvé son apogée avec la Révolution des affaires militaires (RAM) qui correspond à la logique de « guerre zéro mort » largement développée lors de l’opération « Tempête du Désert » (1991). A l’opposé, il a été développé, dans le cadre de stratégies de contournement qui existe depuis la nuit du temps, notamment avec les missions-suicides, une logique qui valorise le courage et la mort sur le champ de bataille. Il faut tout de même souligner que la dimension sacrificielle des stratégies va de paire avec la tactique de l’invisibilité des acteurs. Jouant sur la mobilisation du « symbolique » et poussées par l’effet de l’information diffuse, ces deux logiques sont pour transformer les moyens et les méthodes de combat.

 

 

Professeur FERNANDEZ 

Votre recherche est dans l’ensemble riche et stimulante. Vous avez l’immense mérite de vous pencher sur un véritable objet de recherche puisqu’il n’existe pas d’ouvrages de référence sur la nature et l’évolution de la conflictualité dans la corne de l’Afrique. Outre le choix du sujet, on ne peut qu’approuver votre volonté de vous positionner de vous engager en défendant une lecture, votre vérité sur le sujet – même si l’on a parfois du mal à vous suivre.

S’agissant du style, on vous lit avec plaisir presque comme un roman. L’écriture est relativement fluide parfois élégante et les règles orthographiques semblent assez bien honorées. Il demeure quelques fautes (voir p. 54, p. 76, pp. 134-135, p. 264, p. 353, p. 391, p. 413, p. 412, p. 445, p. 448, p. 455, p. 469, 475, 485 et je tiens mon manuscrit à disposition si vous le souhaitez) mais rien de déraisonnable au vu du volume proposé, bien au contraire. On peut également déplorer ici ou là quelques glissements de plume. Par exemple, « Djibouti n’est pas un fleuve tranquille » p. 379, « le fonds historique de la guerre est resté caillouteux » p. 386, « comprendre le pourquoi du comment des conflits » p. 419, « les relations internationales ont toujours impacté la vie intérieure des Etats » p. 441, etc. Mais rien d’irrémédiable. L’appareil critique proposé à l’appui des développements respecte les règles de présentation, encore qu’on puisse regretter l’absence de certaines références en version originale (travaux de Kenneth Waltz, de James Rosenau…) Votre glossaire, présentation des Etats visés et vos annexes constituent des instruments utiles dans la compréhension de votre étude. Les nombreuses cartes et tableaux que l’on retrouve dans le corps de vos développements sont également appréciables et l’on peut seulement regretter que vous ne proposiez pas vos propres instruments d’analyse.

Sur le fond, et d’une manière générale, on ne peut qu’être sensible à votre grille de lecture qui montre avec justesse, me semble-t-il, la transformation des conflits africains en général depuis la fin de la guerre froide  – avec en l’espèce une attention à ceux de la Corne de l’Afrique. On peut considérer que les différentes crises internes sont des vecteurs aujourd’hui de conflits croisés, régionaux, qui impliquent une multitude d’acteurs étatiques et non étatiques. Cette mutation des conflits compliquent leur résolution et si l’on peut trouver simpliste le triptyque « tensions ethniques – ressources – guerres civiles », force est de constater que le remède longtemps proposé « accords de paix – casques bleus – élections » n’a pas produit les résultats escomptés.  Toute étude sur le sujet est donc la bienvenue. Peut être auriez vous pu distinguer plus clairement les causes structurelles des conflits, certainement héritées de la colonisation (distribution inégalitaire du pouvoir, manipulation des différences ethniques, non correspondance des Etats et des nations) et des éléments plus conjoncturels (absence de victoire militaire, ingérences extérieures, rôle des matières premières…). Vous insistez justement sur la proximité des provinces en rébellion aux frontières des Etats en cause ce qui renforce les alliances adhoc transnationales. Il ne faudrait pas sous estimer pour autant l’intérêt plus classique des Etats à s’engager dans une querelle interne de leurs voisins. En l’espèce, il me semble que vous ne montrez pas suffisamment la volonté de l’Ethiopie d’être considérée comme une puissance régionale, un modèle démocratique face à ce que certains qualifient d’Etat voyou – l’Erythrée et face à un Etat défaillant la Somalie. D’une manière générale, si l’on vous suit lorsque vous évoquez certaines solidarités ethniques transnationales, il me semble qu’il ne faudrait pas sous estimer les jeux d’équilibre classique dans la région. L’Erythrée et l’Ethiopie s’affrontent alors que leurs dirigeants ont autrefois combattus cote à cote et appartiennent à la même ethnie tigré. N’y a-t-il pas une volonté pour la Somalie, le Soudan ou l’Erythrée de jouer sur la fragilité ethnique de l’Ethiopie simplement pour l’affaiblir ?

Plus précisément maintenant, votre construction aurait certainement mérité d’être plus claire. On y retrouve les éléments attendus : l’étude croisée des rivalités ethniques en Ethiopie, Erythrée, Djibouti et Somalie ainsi que des propos plus théoriques sur la vision transnationale ou l’évolution des conflits armés. Peut-être votre étude aurait gagné à présenter dans un titre préliminaire la méthodologie et le cadre théorique choisis. Surtout, il n’est nulle part fait référence aux bornes assumées de votre recherche – 1961-2006.  Votre chronologie les dépasse et votre étude également. Pourquoi avoir choisi ces dates ? Peut-être pourriez-vous revenir sur ces choix…

Dans votre introduction, vous entendez présenter les ressorts de la conflictualité. Vous vous appuyez implicitement sur Thucydide et sa distinction entre origine profonde et origine immédiate d’un conflit en présentant les causes profondes de la bellicité. Vous prétendez ensuite que le nombre de conflits armés s’est considérablement accru dans le monde. Vous auriez pu citer et critiquer alors des études récentes, certes controversé pour certaines (je pense à celle d’André Larané par exemple), qui montrent que les attentats du 11 septembre ont inauguré la décennie la moins violente que le monde ait connu depuis le 19e siècle si l’on prend en compte le nombre de victimes de la violence étatique (moins d’un million de tués en 2001-2010, nettement plus dans chaque décennie antérieure depuis 1840). En toute hypothèse, vous avez raison de revenir dans vos propos introductifs sur la nécessité d’une approche multidisciplinaire pour apprécier la conflictualité en Afrique. Votre hypothèse est de considérer l’ethnicité comme élément déterminant de la compétition pour le pouvoir dans la corne de l’Afrique même si vous prenez soin de ne pas rejeter en bloc la pensée réaliste. Finalement, comme le conseillait Stephen Walt dans un de ses meilleurs articles, vous répondez aux qualités exigées d’un bon diplomate et peut-être d’un bon chercheur en relations internationales soit la nécessité de dépasser les cadres trop contraignants de la pensée réaliste et de prendre en compte l’apport des études transnationalistes ou constructivistes.

Dans une première partie, vous exposez votre conception de l’approche transnationale en insistant sur les théories de l’interdépendance complexe qui selon vous proposent des grilles de lecture plus pertinentes des relations internationales contemporaines et particulièrement les conflits de la corne de l’Afrique. On vous suit assez aisément dans vos propos même si l’on peut s’étonner d’abord de certaines traductions (acteurs libres de souveraineté, sovereignty free actors, acteurs privés de souveraineté ? - même si d’autres auteurs utilisent également cette traduction), ensuite de certaines références (par exemple Kenneth Waltz ou Barry Buzan dans les caractéristiques de l’approche transnationale p. 93) et surtout votre absence de critiques des Traités de Westphalie comme la soi-disante rupture entre monde médiéval et  moderne. Sur ce point, Krassner et bien d’autres ont depuis longtemps relativisé ce tournant historique et montré que des entités politiques ayant le contrôle exclusif de leurs territoires existaient bien avant la fin de la guerre de 30 ans et que des puissance universelles ou des organisations féodales lui ont survécu. Pour autant vous illustrez assez bien vos propos en évoquant les conflits d’allégeances entre ethnies d’Ethiopie et d’Erythrée par exemple.  J’ai également quelques interrogations sur votre conception de la souveraineté des Etats. Je sais qu’il s’agit d’un concept en partage entre droit international et sciences politiques. Toutefois, je ne pense pas qu’on puisse raisonnablement dire dans vos développements sur ce point que « la souveraineté est l’affaire de moyens et de capacité », et que la souveraineté et la « non-ingérence dans les affaires intérieures » se cantonnent donc au niveau de l’idéal, de la fiction. C’est faire bien peu de cas du droit comme moyen de réguler les relations internationales, aussi imparfait soit-il. Je ne comprends pas d’ailleurs, dans ces mêmes développements, pourquoi vous prétendez que le droit international a connu son apogée en 1945 (p. 135). Sur le plan juridique toujours, la reconnaissance internationale n’est pas un attribut de l’Etat ni un élément constitutif de la qualité étatique. Mais l’essentiel n’est pas là vous avez raison. Vos développements sur la théorie de l’ethnicité sont fort intéressants et vous avez raison je crois de postuler que l’ethnicité n’est pas seulement une question de parenté et d’ascendance biologique mais aussi de construction sociale et politique comme de revenir sur la balkanisation de la corne de l’Afrique.

Peut-être auriez vous pu insister davantage sur quelques aspects importants de cette nouvelle problématique, la question des Etats multinationaux, des Etats sans nation et celles des Etats défaillants. On sait que le principe des nationalités peut être créateur de conflits et une des variantes concerne les Etats qui ne reposent pas sur une base nationale préexistante, mais se proposent de construire une nation nouvelle. Ils posent ainsi la construction nationale comme projet. Il y a là une imitation volontariste de l’expérience française, même si elle n’est guère comparable car le processus a été beaucoup plus long. Dans les pays qui ont dû lutter pour leur indépendance, le combat a permis de cristalliser un sentiment national qui n’était pas nécessairement enraciné au préalable, comme en Algérie ou en Palestine arabe. Dans les pays décolonisés pacifiquement, l’évolution du modèle peut être plus délicate. Ces pays ont en fait accepté les frontières issues de la colonisation, frontières administratives ou séparant des Empires coloniaux, qui reposaient souvent sur les hasards de la conquête. Les populations ainsi regroupées au sein d’une même entité pouvaient être hétérogènes.  le modèle est à l’épreuve, particulièrement en Afrique subsaharienne. Les réalités tribales persistent, et une tribu n’est qu’une nation embryonnaire, de même qu’une nation est souvent une tribu qui a réussi. Les rivalités, tensions et affrontements ethniques latents ou spectaculaires menacent la stabilité de nombreux Etats, soit en contestant leurs frontières soit en disloquant leur base sociale interne. Au-delà d’ajustements locaux, c’est le modèle étatique lui-même qui peut être atteint. S’ajoutant au fait que le sous-développement empêche parfois l’Etat de remplir ses missions primordiales, protection des droits fondamentaux des populations et de leur sécurité, alimentation, santé publique, éducation..., une telle fragmentation sociale met en cause la légitimité même de l’Etat… et favorise certainement sa défaillance. Bref, quelques développements supplémentaires sur ces points auraient été bienvenus.

Votre seconde partie se veut davantage une étude de cas. Vous passez d’abord en revue le conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée en revenant dans un premier temps sur le royaume d’Axoum, la terre d’origine, et en soulignant l’absence de correspondance entre les frontières ethnolinguistique et les frontières étatiques. Vos propos sont illustrés de cartes et de nombreuses citations qui offrent au lecteur une description minutieuse des différentes composantes des Etats observés. Un point aurait certainement mérité davantage d’attention. Il s’agit de la situation des Oromo, longtemps considérés comme des barbares puis des opposants actifs au régime, soutenus par le Soudan et la Somalie. Aujourd’hui comment appréciez vous l’apport de la constitution de 1995 quant à la prise en compte de leurs spécificités ? Le nationalisme oromo est-il encore actif, réprimé ? Vos développements sur la situation de l’Erythrée me semblent parfaitement appropriés en particulier lorsque vous soulignez qu’il s’agit d’une invention italienne, d’une Ethiopie en miniature. Vous avez raison de montrer les perceptions opposées de ces deux Etats. L’Erythrée se voit comme bien plus moderne que l’Ethiopie, presque fière de l’influence italienne, et semblant parfois traiter d’arriérés les éthiopiens tandis que ces derniers voient dans les érythréens des soumis sinon des traitres. S’agissant du règlement du différent frontalier qui oppose l'Éthiopie à l'Érythrée, il me semble que vous revenez peu sur La Commission de délimitation des frontières entre l’Érythrée et l’Éthiopie, établie en exécution des dispositions de l’Accord du 12 décembre 2002 conclu entre l’Erythrée et l’Ethiopie, et qui est chargée de procéder, sur le fondement des traités coloniaux (datant de 1900, 1902 et 1908) et des règles de droit international applicables, au tracé de la frontière entre les deux États. Ou en sommes nous aujourd’hui ? Les deux Etats en cause ont-il pris des mesures conformément aux décisions de cette Commission ?  Bon, en toute hypothèse, vos analyses se poursuivent ensuite sur les cas de la Somalie et de Djibouti et l’ensemble est fort instructif. Il me semble cependant que vous négligez d’étudier les résolutions récentes du Conseil de sécurité et notamment les résolutions 1862 du 14 janvier 2009 et 1907 du 23 décembre 2009 « Paix et sécurité en Afrique » qui condamnent la politique extérieure de l’Erythrée et décide entre autre d’interdire à cet Etat tout commerce d’armes. Ces résolutions dénoncent également et l’opposition érythréenne au gouvernement fédéral de transition de la Somalie et son absence de volonté de régler le différend avec Djibouti à Ras Doumeira et dans l’île de Doumeira. Pourriez-vous revenir sur ce différend ? S’agit-il d’une opposition ethnique ? Comment apprécier les réactions du Conseil de sécurité ? Enfin, et plus généralement, on peut vous reprocher de ne pas proposer une synthèse analytique, des conclusions générales sur ces conflits croisés.

Votre dernier titre se présente comme une autre étude théorique, complémentaire de votre première partie mais un peu plus étonnante au vu du premier titre de la seconde. Vous entendez revenir sur la transformation des guerres contemporaines en présentant d’abord l’évolution des acteurs et des facteurs des conflits armés. Heureusement vous essayez de lier vos réflexions à vos cas d’étude. J’approuve votre démonstration sur les problématiques actuelles des guerres asymétriques ou du terrorisme. J’ai quelques difficultés cependant sur certaines de vos affirmations. P. 402 par exemple, je vous cite « les organisations internationales (avec un mauvais renvoi de carte d’ailleurs) ne mettent pas moins de facto les pays africains sous influence, limitant ainsi leur souveraineté ». Qu’entendez vous pas de facto ?  p. 425 ensuite « nous considérerons que la guerre préventive n’exige pas un préjudice et une faute (comme c’est le cas dans le domaine du droit). Seul le préjudice suffit. » Qu’est ce qu’une guerre préventive et comment illustrez vous cette distinction entre préjudice et faute ? Enfin, qu’est ce qu’un conflit transnational p. 438 et comment le distinguez vous d’un conflit international ? Enfin, p. 480, « nous considérons la bellicité dans la corne de l’Afrique comme l’antidote à l’enlisement des nations dans une paix qui, à la longue, affaiblirait le sentiment national. Elle s’inscrit dans le registre de « bonnes guerres » nécessaires au renforcement de l’unité et de la cohésion nationale ». Qu’appelez vous une « bonne guerre » ?

En définitive, s’agissant de votre thèse, on a parfois l’impression que vous n’allez pas au bout de votre parti pri transnational – et je m’en réjouis - lorsque vous affirmez que l’ethnicité est l’élément déterminant la compétition pour les positions de pouvoir tout en rappelant souvent le rôle clef des Etats dans la région. Je vous ai peut être mal compris et vous avez maintenant la possibilité de revenir sur les conclusions de votre thèse. Voilà, il n’en demeure pas moins que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire votre travail, qui est fort utile et ouvre nombre de pistes de recherche.

 

Réponse  Monsieur MASHIMANGO

 Monsieur MASHIMANGO commence par la question des Oromo (28,5% de la population éthiopienne) en reformulant la question du Professeur FERNANDEZ de la manière suivante : « les Oromo ont-ils déjà digéré les amertumes et humiliations subies face aux pouvoirs Amhara et Tigréen? ». Aujourd’hui, dans l’Ethiopie actuelle, ce sont les Tigrés du Nord, ennemis historiques des Amhara, mais aussi opposants à la réforme agraire socialiste de 1974 qui menaçait le système foncier « communautaire » qui, désormais, sont à la tête de l’Etat. Du coup, ils ont imposé des limitations formelles au peuple Amhara en le circonscrivant aux plans territorial et institutionnel, et mis à l’écart les Oromo du FLO. Cette mise à l’écart de la principale force ethnolinguistique éthiopienne constitue le fondement même de la faiblesse structurelle de la démocratie et, ainsi, de l’ethnofédéralisme éthiopien dont le but est de renforcer le pouvoir de contrôle de la minorité tigréenne par rapport aux deux grandes et plus importantes ethnies : les Amhara et les Oromo, jadis protégés par la vieille constitution « jacobine » de 1987.  
   
 Formant 40% de la population éthiopienne, les Oromo sont les acteurs silencieux de l'histoire de l'Éthiopie depuis trois siècles, tour à tour opprimés et oppresseurs. Les oublier, c'est se priver de percevoir les équilibres de pouvoir internes à la « Grande Éthiopie ». Leur révolte ou leur soutien est déterminant pour le    
régime éthiopien actuel. Il en va de même pour le sentiment chrétien. Etendus sur presque tout le territoire éthiopien, depuis l’Ouest aux frontières du Soudan, à l’Est jusqu’au pays somali, les Oromo longent, au Sud, la rivière Tana jusqu’au Kenya et remontent au Nord aux abords du plateau du Tigré. Eleveurs de bovins pour la plupart, ils sont, du point de vue religieux, musulmans (Est et Sud-Ouest), orthodoxes de l’église tewahedo (au Nord) et évangéliques (Ouest), ils sont en contact quasi permanent avec toutes les autres composantes ethniques éthiopiennes et, de ce fait, sont à mesure de s’adapter à toutes les configurations sociales et culturelles. C’est ce qu’a compris le Premier Ministre éthiopien, Monsieur Meles Zenawi qui, après la chute du Därg en 1991, a intégré le Front de Libération Oromo aux mouvements rebelles du Nord dans le processus d’élaboration de la Constitution de l’Ethiopie fédérale qui a abouti à la formation d’une vaste région oromo, l’Oromiya. Il en sera écarté, par la suite, à cause de la revendication d’indépendance de l’Oromiya (ou nation oromo) dont les contours correspondent plus ou moins aux plans politiques élaborés par les idéologues nationalistes oromo.
   
 Soutenue par le Soudan et la Somalie, qui ont permis l’installation à leurs frontières de camps de réfugiés oromo constituant les bases arrière de la rébellion FLO, l’idéologie nationaliste oromo, telle que construite par les intellectuels oromo de la diaspora, s’exprime dans le domaine de l’histoire. Il faudra toutefois retenir que les formes symboliques d’autonomie de l’Oromiya sont actuellement contrebalancées par le contrôle politique rigoureux et répressif auquel sont soumises les populations oromo, victimes d’une méfiance qui, depuis belle lurette, a été entretenue par les régimes éthiopiens successifs. C’est ce qui constitue le facteur majeur de la formation et du développement de l’idéologie nationaliste oromo. Sommes toutes, la situation actuelle des Oromo montre que l’ethnicité est utilisée pour la conquête des sphères politiques et le transnationalisme pour la constitution d’alliances ethno-identitaires qui transcendent les frontières étatiques. C’est pour cela que les Relations Internationales devraient prendre en compte les facteurs internes et externes. Dans la foulée, il convient de souligner que les réseaux de militants et les mouvements sociaux transnationaux sont particulièrement importants autant par leur capacité de mobilisation que par les liens qu’ils créent à travers les frontières. 

 

Concernant la commission sur les frontières, Monsieur MASHIMANGO tient à rappeler que les limites de la frontière érythréenne ont été tracées par Ferdinando Martini avec la participation des « askari », les Tigrés qualifiés aujourd’hui par les Amhara de collaborateurs du colonisateur. Les frontières ainsi tracées dans la région de Badmé par un accord tripartite entre l’Angleterre, l’Italie et l’Ethiopie en 1906, ont coupé le Tigré en deux et intégré les populations Kunama sur le territoire érythréen. La reprise des hostilités déclenchées par la question frontalière de Badmé est ainsi considérée par les Erythréens comme une deuxième guerre d’indépendance parce que, pour eux, ils défendaient ce qu’ils estimaient être leur territoire. Monsieur MASHIMANGO affirme que l’Erythrée n’est pas totalement satisfaite de la décision de la commission sur les frontières, que  le conflit n’est pas encore terminé, car il y a encore des tensions. Si, du côté éthiopien, Meles Zenawi rêve d’une « Grande Ethiopie » s’étendant des confins de la Mer Rouge aux rives de l’Océan Indien, reprenant ainsi les aspirations inachevées de Ménélik, Haïlé Sélassié et Mengistu, il faut aussi noter que, du côté érythréen, Issayas Afeworki nourrit la même ambition pour l’Erythrée de conquérir le Tigré. Il se fonde sur une carte géographique qui date de 1937. Issayas Afeworki défie ses voisins éthiopien et djiboutien en occupant une partie de leur territoire au Nord, remettant ainsi en cause les frontières coloniales alors que celles-ci qui datent des accords d’Addis-Abeba (1896), qui sont confirmées par les traités signés entre l’Ethiopie, l’Italie et la Grande-Bretagne en 1900, 1902 et 1908 et enfin par la Société des Nations, sont parmi les plus anciennes frontières d’Afrique.

 Aussi faut-il souligner que les blessures de l’incident dit de « Badmé », dans la zone portant le nom d’une plaine traversée par la frontière – et d’ailleurs là aussi théâtre jadis d’affrontements en 1976 et 1981 entre le Front de Libération de l’Erythrée (FLE) et le Front Populaire de Libération du Tigré (FPLT) – sont encore ouvertes jusqu’à aujourd’hui : cette zone, que les Tigrés considèrent comme la leur, mais jusqu’ici provisoirement laissée de côté, car figée par l’UA (jadis OUA) et l’ONU comme tracé « colonial » des frontières, refait surface.  

 

La notion de « bonne guerre », correspond aux notions développées au fil des ans, des contextes politiques et situations internationales, comme la « guerre juste ». Cette notion est d’ailleurs évoquée par Mme Mary Robinson, ex-Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme (1997 à 2002), en 1999. Considérant la bellicité dans la Corne de l’Afrique comme l’antidote à l’enlisement des nations dans une paix qui, à la longue, affaiblirait le sentiment national, Monsieur MASHIMANGO pense que la guerre est nécessaire au renforcement de l’unité et de la cohésion nationale. D’où le postulat qui considère la guerre non pas comme un fait primitif, mais comme une activité humaine et sociale. A ce titre, Monsieur MASHIMANGO conclue que la bellicité dans la Corne de l’Afrique est un « rite géographique » régulateur dont les affrontements, réguliers dans l’espace et dans le temps, absorbent les tensions sociales et ethno-identitaires locales.

Quant à la délimitation temporelle du sujet de thèse : 1961 -2006, Monsieur MASHIMANGO souligne que cette borne correspond aux premiers incidents militaires en Erythrée (17 septembre 1961), lesquels incidents ont signé le début d’une longue guerre d’indépendance.  L’année de son inscription en thèse de doctorat (septembre 2006). Monsieur MASHIMANGO reconnaît que les choses ont évolués tout au long de sa recherche et continuent à évoluer. Certains événements sont évoqués dans sa thèse sans pour autant qu’il y consacre un développement conséquent. D’où l’intérêt de continuer travailler sur le sujet.

Les récents affrontements à la frontière avec Djibouti, dans la région de Ras Doumeira montre encore une fois la face d’un Erythrée qui, pour affirmer son identité, n’a pas renoncé à se libérer de l’emprise fraternelle de l’Ethiopie et à conquérir les frontières djiboutiennes. Autant le Maroc a fait prévaloir à un moment donné (entre 1956 et 1963) des droits historiques sur la Mauritanie, autant l’Erythrée, comme en témoignent les récentes constructions des retranchements et installation de son armée dans la zone frontalière de Ras Doumeira disputée avec le Djibouti, brandit les mêmes allégations au sujet de Djibouti. Pour l’Erythrée, sa frontière avec le Djibouti n'a jamais été précisément définie. Et ce, en dépit d'accords signés entre la France et l’Ethiopie en 1897, et  entre la France et l’Italie en 1901 ; la Résolution de l'ONU du 15 janvier 2009 ordonnant à l'Erythrée de retirer ses forces du territoire djiboutien de Ras Doumeira et les sanctions de l'ONU contre l'Erythrée pour son rôle déstabilisateur dans la région (23 décembre 2009).

Professeur Jean-Paul JOUBERT, Président du Jury

Pour conclure cette soutenance, Jean Paul Joubert prend brièvement la parole en disant qu’il partage très largement les remarques positives émises par les autres membres du jury. Il tient à exprimer tout l’intérêt qu’il a trouvé à lire cette thèse qui est d’abord d’une magnifique qualité formelle. Le candidat semble affirmer sans une espèce de questionnement que la guerre est veille que le monde. Or, au néolithique, on ne se faisait pas de guerre. Celle-ci a commencé avec les tribus. Hormis quelques royaumes (Benin, Egypte, etc.) qui ont eu des modèles organisationnels.

Il revient ensuite sur les qualités intellectuelles de Monsieur MASHIMANGO : un doctorant intelligent, qui a bien présenté sa thèse, un bon enseignant, etc. Mais, il regrette ne pas comprendre la thèse que défend Monsieur MASHIMANGO, ainsi que les variables dynamiques de sa thèse. « S’il est facile de dire en une phrase la thèse d’un tel auteur, j’avoue que je ne sais rien dans ce cas d’espèce », souligne le Professeur JOUBERT, selon qui, à l’époque de  scolastique, la thèse ne s’évaluait pas par le nombre de pages, mais  par l’idée défendue. Ce qui, par ailleurs facilite la question de documentation, car celle-ci sert à démontrer la thèse.

Cependant, le Professeur reconnaît en Monsieur MASHIMANGO des qualités très fortes. « Comme il n’y a pas de fil conducteur, de fil à plomb, de fil d’Ariane  je vous trouve assez fort pour être parvenu à nous présenter des variables pertinentes sans vous éparpiller. Sans monter que vous êtes incontestablement cavalier sur cet image, vous avez reçu un exercice difficile sans vous casser la figure », dit-il. Tout de même, le Professeur JOUBERT se pose la question d’imagination scientifique de Monsieur MASHIMANGO.

 

Réponse de Monsieur MASHIMANGO

A partir des réalités actuelles dans la Corne de l’Afrique Monsieur MASHIMANGO affirme interroger la pertinence des frontières étatiques et de l’idéologie étatique nationale en m’appuyant sur les théories transnationalistes et l’interdépendance complexe entre les facteurs et acteurs pluriels des relations internationales.

 

Professeur JOUBERT

Pour le Professeur JOUBER, cette réponse constitue une idée de base. Il suggère à Monsieur MASHIMANGO de préparer un article sur le sujet.

Le Professeur JOUBERT continue son intervention en affirmant que l’étude de la « configuration systémique» de la Corne de l’Afrique comme un « ensemble de tensions », telle que menée par Monsieur MASHIMANGO, structure la dialectique sous-régionale d’interaction des Etats et des communautés politico-identitaires. Pour le Professeur JOUBERT, la thèse de Monsieur MASHIMANGO accorde une considération soutenue aux luttes de définition de ce cadre géographique à partir d’un travail sociologiquement et historiquement documenté de savoir si les configurations du pouvoir dans les pays de la Corne d’Afrique en font des « sociétés gouvernées par l’Etat » ou des « Etats gouvernées par les communautés ». Avec un cocktail méthodologique, Monsieur MASHIMANGO a donc réussi son pari à nous présenter une analyse utile mais le lecteur  risque de s’y perdre, conclue le Professeur JOUBERT, avant de demander les membres du Jury de se retirer pour délibérer.

 

Après délibération, le jury décide d’accorder à Monsieur MASHIMANGO le grade de Docteur en Sciences politiques de l’Université Jean Moulin Lyon 3, avec la mention Très Honorable. Le président tient à préciser que l’absence d’un membre du jury a desservi le candidat mais que le jury  présent est unanime à souligner le caractère exceptionnel de la  défense de la thèse et à féliciter le candidat.

 

 

Fait à Lyon, le 14 décembre 2010

 

 

Monsieur Jean-Paul JOUBERT, Professeur, Président du Jury

Monsieur David CUMIN, MdC - HDR, Directeur de thèse

Monsieur Julian FERNANDEZ, Professeur

Monsieur Pascal HINTERMEYER, Professeur

Monsieur Michel-Louis MARTIN, Professeur



[1] En déplacement en Chine jusqu’au 17 décembre 2010, Monsieur Michel-Louis MARTIN, Professeur de Sciences Politiques, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse et Directeur du Centre Morris Janowitz, n’a pas pu participer à la soutenance de Monsieur MASHIMANGO.  Son pré-rapport  a été lis par le Président du Jury.

 

Publié dans aboumashimango

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