Le parfum du jasmin (Par Nawel BAB-HAMED)
En ce début d’année 2011, dans le monde arabe, les graines germent. Une nouvelle Nahda (renaissance), comme le monde arabe n’en avait pas connue depuis le 19e siècle : rationalité, démocratie et partage de pouvoir, besoin unité, interprétation progressiste des textes religieux, égalité des citoyens et des genres... Plus d’un siècle plus tard, les aspirations restent, identiques, à quelques évolutions près :
- Une onde de liberté part de la Tunisie et propage très largement jusqu’en Inde et en Chine.
-Le mouvement vient de la base, sans leaders, sans sommet, sans élites. Tous les acteurs structurés, comme l’opposition, les religieux ou les syndicats, ont été pris de court.
-Les manifestations ne se cantonnent pas aux lieux symboliques ou dans les capitales, elles se propagent dans la profondeur des zones rurales et mobilisent tous les âges.
- Ce n’est pas une révolte d’estomac, ou pas que : les revendications portent aussi sur des valeurs sociétales (liberté, démocratie, dignité humaine, égalité, laïcité)
- La révolte arabe s'étend à des pays et peuples riches : la richesse par habitant à Bahreïn est identique à celle en France ! La richesse de la Libye dépasse celle de la Turquie. La Libye est deux fois plus riche que la Tunisie. En Tunisie, même les hommes d’affaires sont du côté de la révolte populaire.
Les peuples pris conscience qu'ils ne sont pas fatalement voués à des leaders totalitaires appartenant à l'ère de la décolonisation. Ils veulent rompre avec une conception qui misait sur l’éducation et le confort des peuples mais les privait de démocratie pensant que citoyens arabes n’étaient pas assez matures pour l’intégrer (lègue d’Hassan II, Bourguiba, Kadafi, Saddam, Assad le père).
Ces données nous impose de nouvelles questions : comment, dans ce bouleversement mondial, générer le moins de haine et épargner le maximum de générations? Quel modèle de société recherchent et construisent les pays arabes modernes ? Quelle serait la place des religions ? Les expériences menées ailleurs sont-elles transposables au Maghreb et au Moyen-Orient (ALBA, Turquie, Asie)? Quels nouveaux rapports peuvent-ils entretenir avec les USA, l’Europe et les anciennes puissances coloniales? Quelle attitude adopteront-ils à l’égard d’Israël et quelle attitude Israël adoptera à leurs égards? Quel est notre rôle français et européen pour les aider sans être des donneurs de leçon et sans tomber dans l’ingérence ?
Pour mieux y répondre, il faudrait comprendre pourquoi cette révolte, maintenant ?
Des situations très différentes mais quelques points communs :
Le maintien de régimes politiques autoritaires, corrompus, le plus souvent incarnés par des chefs d'Etat vieillissants caractérisés par une incroyable inertie.
Le nouvel accès à l'information : La révolution technologique et informationnelle bouleverse le monde réel (chaines internationales, Al-Jazira, téléphone portable, les réseaux sociaux type facebook) alimente cette soif de changement.
La croissance démographique dans certains pays et les taux élevé de chômage des jeunes et surtout celui des diplômés.
Le décalage devenu intolérable, entre le développement économique issu des richesses produites et le partage de ces richesses pour un mode de vie plus digne pour tous (la même situation existe chez nous).
Le peu d’intérêt donné à l’agriculture. La concurrence à l’urbanisation touristique (dans certaines régions) vue comme un progrès dont il fallait être fier, des investissements absurdes ostentatoires, mettant à mal les habitants et leur environnement.
Un fossé, entre zones rurales et zones urbaines, qui suscite haine et violence entre citoyens (ce qui nous attend avec la réforme des collectivités territoriales)
D’autres éléments liés aux relations avec l’Europe et les USA :
Une dépendance excessive visible de longue date mais il s’est manifesté d’une manière patente depuis 2008. Sans la crise financière et économique mondiale ces pays seraient peut-être restés, plus longtemps sous la férule de la dictature. En plus de l’étouffement des libertés et de l’oppression, la crise a été le déclencheur du ras-le bol.
La sévérité et la xénophobie des lois européenne sur l’immigration ont, aussi, à mon avis, jouer un rôle important dans cette implosion.
Chez nous, ces modèles, aujourd’hui déchus, ont clairement décomplexé nos dirigeants européens Berlusconi et Sarkozy qui enchainent népotisme, mainmises et censures médiatiques, dénigrement du peuple, corruption et détournement de fonds publics.
Maintenant que ces modèles de l’autre côté tombent, il serait temps de remettre l’accent, sur cette décadence d’éthique de nos dirigeants. Même si nous sommes nombreux à le penser et à le dire et que nous n’avions pas attendu que l’indignation soit dans l’air du temps, le climat populaire n’était pas propice à l’écoute. Il nous faudra donc redire, dans l’actualité.
Car aujourd’hui, les français deviennent de plus en plus lucides et civiquement désobéissants, selon un sondage par dans l'Humanité, 58% d’entre eux se disent dans un état d’esprit de révolte.
Et puis, les mêmes questions de fond se posent et se reposent chez nous avec la mise à mal des acquis du Conseil National de la Résistance. Il faudrait peut-être se poser la question si cette référence CNR parle aux jeunes générations ? En font- ils un fondamental ? Un socle d’avenir ?
Eric Verhaegue, y fait référence dans son livre « jusqu’ici tout va bien » publié au moment où il fait le choix de quitter et dénoncer le MEDEF de l’intérieur. Il fait ce choix malgré la richesse matérielle que son métier lui procurait.
Ce qui me semble nouveau à souligner là bas comme ici, c’est que même les classes économiquement aisées se portent mal, se sentent oppressées et ne supportent plus les seuls critères chiffre et concurrence comme indices de bonheur.
La tâche est donc grande pour les pays du sud, grande pour nous, pays du nord, et la victoire populaire nécessite plusieurs années de redressement. Il faudra prendre du recul, il faudra dialoguer, y préparer les citoyens, notamment les jeunes qui participent et qui guettent impatiemment ce qui se passe. Reste le plus délicat dans une révolte populaire, ses lendemains: une fois le coup de pied donné aux régimes maudits, que fait-on ?
Au moins quelques propositions doivent être clairement portées par tous les solidaires des peuples en révolte :
1-Demander la suppression immédiate des dettes de ces pays pour leur permettre de repartir du bon pied.
2-Ne pas attendre 2012 pour résister et construire : rompre avec le traité de Lisbonne, revenir sue la réforme des retraites, créer de l’emploi, augmenter les salaires, faire réactualiser par les jeunes le socle d’acquis du CNR et le faire progresser.
3-Dans la bataille des idées, il est temps rompre avec la logique et la terminologie issue du 11 septembre et rompre avec une image d’un seul islam dans le monde arabe pour commencer à comprendre la diversité des courants ? A quel besoin ont-ils répondu et répondent aujourd’hui ? Quel avenir politique peuvent-ils avoir ?
4-Recréer les conditions de confiance entre Les pays du sud et les pays du nord, par des choix économiques et sociaux cohérents entre les énoncés et les directives d’application (ce qui n’est pas le cas actuellement).
A la revendication populaire de créer en commun un destin collectif, il nous reste, dans ce moment mondial historique, à ne pas nous tromper de débats, à respecter les choix avenirs des peuples, à nous poser les bonnes questions pour que nous soyons, tous ensembles, utiles à notre société et à nos semblables du monde entier.
Nawel BAB-HAMED