Les spécificités des droits des femmes et la protection internationale
§ Des violences sexuées aux droits spécifiques
Dans tous les pays du monde et dans toutes les couches sociales, les femmes sont victimes de violences en raison de leur sexe. Le terme « violence contre les femmes » désigne tout acte de violence liée au genre (« sexo-spécifique ») entraînant des dommages corporels, sexuels ou psychologiques pour la femme, la jeune fille ou la fillette qui en est victime. Ce type de violence englobe les actes perpétrés contre une femme parce qu’elle est une femme et les actes dont les femmes sont plus fréquemment victimes que les hommes. Ces violences sont perpétrées au sein de la famille ou au foyer (violence domestique, viol conjugal, conditions de vie proches de l’esclavage, mariage forcé, crime dit d’honneur), au sein du groupe social (prostitution forcée, travail forcé, excision) ; certaines sont commises ou approuvées par l’État (par exemple viol par des agents des pouvoirs publics, torture en détention, actes de violence perpétrés par des agents des services de l’immigration) et d’autres émanent d’acteurs non étatiques, en temps de paix mais aussi au cours d’un conflit armé, commis tant par les forces régulières que par les membres de groupes armés (attaques contre la population civile, composée bien souvent en majorité de femmes et d’enfants, viols et autres violences sexuelles).
Les femmes sont des cibles particulièrement vulnérables de persécutions et de tortures diverses. Les stéréotypes relatifs au genre sont accentués à la veille des conflits et pendant les hostilités. La femme, porteuse de l’honneur du groupe social, est alors une cible privilégiée. Toute attaque contre une femme du « groupe ennemi » est perçue comme une attaque contre ce groupe tout entier. Les femmes sont parfois prises pour cibles parce qu’elles portent en elles les générations futures.
Si dans de nombreux pays certaines violences envers les femmes sont considérées comme légales ou « culturelles », les demandeuses d’asiles et/ou les déplacées de guerre, femmes et étrangères, sont victimes d’une double discrimination.
Le droit international protège les femmes victimes de persécutions. Les grands textes condamnant les persécutions sont notamment : la Charte internationale des Droits de l’Homme (Déclaration universelle des Droits de l’Homme, les deux Pactes : Pacte relatif aux droits civils et politiques et Pacte relatif aux droits économiques sociaux et culturels), la Convention européenne des Droits de l’Homme (article 3 et 5) et le Statut de Rome qui instaure la CPI. Celui-ci reprend l’idée de « crime lié au genre » les violences faites aux femmes. Les viols, grossesses non souhaitées, stérilisation obligatoire, prostitution forcée, esclavage sexuel sont reconnus comme crime de guerre. Cette disposition implique l’insertion de ces nouveaux crimes dans les législations nationales.
Les persécutions spécifiques aux femmes font également l’objet de textes internationaux spécifiques, particulièrement : La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (23 experts surveillent son application), la recommandation générale n°19 du Comité pour l’élimination des violences à l’égard des femmes. Le texte propose une définition de la violence fondée sur le sexe et recommande que les Etats parties à la convention prennent des mesures appropriées et efficaces pour éliminer toutes formes de violences fondées sur le sexe, qu’elles soient privées ou publiques, et précise que la violence fondée sur le sexe peut violer des dispositions particulières de la Convention même si ces dispositions ne mentionnent pas directement la violence. Cette recommandation est renforcée en 1993 par la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cette déclaration donne une définition plus complète de la violence, traitant des préjudices physiques et psychologiques perpétrés dans des sphères publiques et privées et intentionnelles ou non. Cette déclaration stipule que les Etats devraient condamner la violence à l’égard des femmes et ne pas invoquer des considérations de coutumes, de traditions et de religion pour se soustraire à l’obligation de l’éliminer.
Il faudra aussi souligner que plusieurs conférences ont été tenues ayant pour objectif la mise en place de textes sur la prévention des violences : la Conférence mondiale sur les Droits de l’Homme qui a entraîné la déclaration et le programme d’action de Vienne en 1993, Pékin (mais des articles sont jugés par certains pays contraires à leurs valeurs sociales et culturelles) et Pékin plus 5 en 1995 et 2000, Daphné I et II.
§ L’asile, protection internationale.
« Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays », stipule l’article 14 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. La Convention de Genève relative aux réfugiés (1951) et son Protocole fournissent les bases légales de l’octroi d’asile. Ils insistent sur le principe de non exclusion, de non refoulement et d’obligation pour les Etats d’assurer une protection internationale à ceux qui en ont besoin (Article 33 de la Convention de Genève). Ce principe de non refoulement dans le droit international relatif aux réfugiés interdit de renvoyer quelqu’un dans un territoire où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de son identité ou de ses croyances. Dans le droit international relatif aux droits humains, il interdit plus généralement le refoulement si un individu risque de subir des atteintes graves à ses droits humains (exemple : la torture). C’est une norme de droit coutumier qui a donc force obligatoire pour tous les Etats.
Cependant, force est de constater que dans l’imagerie collective le demandeur d’asile reste un individu de sexe masculin. Ainsi dit, la reconnaissance du droit d’asile est restreinte en Europe et le droit d’asile pour les femmes victimes de persécutions en raison de leur sexe n’est pas garanti dans la plupart des pays alors que l’article 1A2 de la Convention de Genève (1951) : définit le réfugié comme toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
Demandeuse d’asile, une inadaptation du système. Dans la majorité des Etats européens au moins un tiers des demandeurs d’asile sont des femmes mais les statistiques démontrent un taux moins élevé de reconnaissance du statut de réfugié par rapport aux hommes. Les interrogatoires menés par l’OFPRA ne prennent pas explicitement en compte les persécutions spécifiques aux femmes. De ce fait, il est très difficile pour les femmes d’apporter la preuve de leurs craintes de persécutions, d’autant plus lorsque que celles-ci ne sont pas encore survenues.
§ L’interprétation du motif « groupe social »
La définition du réfugié selon l’article 1A2 de la Convention est « neutre » par rapport au sexe : elle ne prévoit pas les persécutions « spécifiques au genre », comme motif d’obtention du statut de réfugiée ; elle protège surtout les femmes lorsqu’elles se trouvent dans des situations de persécution semblables à celles où peuvent se trouver les hommes. D’où les difficultés éprouvées par les responsables à établir une relation entre l’expérience de la persécution vécue par les femmes et les dispositions de la Convention de Genève (1951) et à reconnaître la nature particulière ou spécifique des persécutions subies par les femmes (elles ont leur propre expérience de la persécution).
Tout de même, dix pays ont intégré dans leur législation nationale en matière d’asile des dispositions offrant à des personnes qui ont fui des persécutions en raison de leurs préférences ou de leurs identité sexuelle la possibilité d’être reconnues comme réfugié. Ex : le Canada reconnaît l’existence d’une persécution propre liée au genre comme motif d’asile.
Nous estimons que les décideurs doivent accepter deux définitions du groupe social pour les femmes : la première est que les femmes en général forment un groupe lorsque qu’on nie l’existence d’un droit à l’ensemble des femmes et la deuxième consiste à considérer qu’un groupe de femmes peut être un sous-groupe victime d’une persécution spécifique.
Il faut reconnaître que la France a récemment élargi son interprétation par jurisprudence : Le cas Sissoko et le cas « N ». Désormais, les femmes menacées d’excision au Mali forment un groupe social et les femmes pakistanaises menacées de mariage forcé forment un groupe social. Ces avancées sont à nuancer dans la mesure où les jurisprudences ne valent que pour des pays, voire des régions et des cas très spécifiques
De nombreuses associations ainsi que des lobbies se battent pour la reconnaissance des persécutions spécifiques aux femmes comme motifs d’octroi de l’asile ou pour une interprétation effective plus souple de l’article 1A2. Les solutions politiques à envisager doivent consister à relier la persécution à la privation des droits humains fondamentaux. C’est la revendication de la CPI. Quant aux solutions juridiques, elles consisteraient à dédier un texte qui aurait force de loi aux violences spécifiques aux femmes et faire de la Déclaration sur l’élimination des violences à l’égard des femmes (de l’Assemblée générale des Nations-Unies) une convention. Il faudra aussi élargir le cadre de la Convention des Nations-Unies contre la torture, considérer l’expérience de violence vécue par les femmes comme une forme de persécution politique dans les cas où la persécution émane d’Etats ou de milieux sociaux et culturels, et inclure le « genre » dans les motifs de l’article 1A2 de la convention de Genève.